La situation ayant peu évolué entre-temps, nous avons poursuivi les constats des années précédentes sur les établissements de santé mentale.
On note tout d'abord une attrition progressive du nombre de psychiatres et de soignants, avec une aggravation depuis la crise sanitaire. Cela constitue une véritable perte de moyens des établissements de santé mentale, qui se traduit depuis 2021 par un mouvement de fermetures de lits – parfois en nombre important – provisoires en théorie, mais sans perspective de fin. Les causes sont multiples : la démographie médicale en premier lieu, et des questions de moyens de façon plus secondaire. En effet, c'est bien la ressource humaine qui nous fait défaut, en raison du manque d'attractivité des emplois ou du nombre insuffisant de personnes formées.
Les conséquences sur les droits des patients sont graves. La psychiatrie allégeant sa présence sur les structures ouvertes et les moyens de prévention, le nombre de crises augmente, ce qui conduit directement à une élévation du nombre de patients accueillis en services de soins sans consentement. Cette évolution est d'ailleurs facilitée par le droit depuis les lois de 2011 et 2013, qui permettent des procédures allégées de placement en soins sans consentement. Or, c'est exclusivement ce type de procédures qui alimente la croissance très importante du nombre de placements en soins sans consentement. Cette mesure d'allègement des procédures de placement ne se traduit donc pas exclusivement par des retombées positives.
Les conditions matérielles sont variables d'un établissement à l'autre. Très souvent, elles sont globalement plus satisfaisantes que celles des prisons. L'exiguïté ne se pose plus que dans les établissements situés en centre-ville ou dans des services de psychiatrie inclus dans des hôpitaux généraux.
On déplore encore une certaine résistance à l'entrée du droit en psychiatrie. Celle-ci est difficile sous deux aspects. Il s'agit tout d'abord de l'information des patients. Très souvent, ces derniers sont informés sur leurs droits, sur leur situation, leurs droits de recours et leur mode de vie par des soignants. Or, ces derniers éprouvent de grandes difficultés à s'acquitter de cette tâche, d'une part parce qu'ils n'y sont pas formés, d'autre part parce qu'ils ont du mal à en comprendre la pertinence : pourquoi devraient-ils expliquer à des patients comment se prémunir contre l'action de personnes dont la vocation est d'agir uniquement pour leur bien ? On place ainsi les soignants devant une injonction paradoxale qu'il ne faut pas négliger. Il s'agit ensuite de l'entrée du droit par la voie juridictionnelle. Depuis 2013, le juge était entré dans le contrôle des mesures de placement en soins sans consentement. Cette année, le Gouvernement a dû mettre en place un contrôle juridictionnel des mesures d'isolement et de contention. Celui-ci se heurte aujourd'hui à d'importantes difficultés pratiques, la première étant la convergence des systèmes d'information entre l'hôpital et la juridiction (qui existe peu ou mal et peut entraver les possibilités de recours) et la seconde ayant trait à l'agenda des personnels, à la démographie médicale ainsi qu'à l'état de saturation des juridictions qui induisent une charge de travail supplémentaire. Le contrôle juridictionnel reste ainsi, pour le moment, culturellement rejeté de part et d'autre. Le CGLPL, promoteur de ce contrôle depuis longtemps, prône quant à lui son extension à quelques mesures, notamment le placement en unités pour malades difficiles.
Nous n'assurons pas nous-mêmes le suivi de nos recommandations, car celles-ci peuvent être très nombreuses – jusqu'à une cinquantaine. Nous le faisons de manière déclarative, en interrogeant le Gouvernement. Par conséquent, les chiffres que je vais vous donner doivent être interprétés avec précaution. Plus d'un tiers de nos recommandations sont déclarées suivies d'effets, environ un cinquième déclarées sans suite et le reste, soit environ 40 %, déclarées partiellement suivies. Notre ambition n'est pas vraiment de connaître les chiffres, ni même vraiment de les voir progresser, dans la mesure où leur véracité n'est pas avérée. Notre ambition réelle est de faire en sorte que les services de contrôle internes de l'administration, c'est-à-dire l'inspection générale de la justice, la mission de contrôle interne de l'administration pénitentiaire, les inspections des agences régionales de santé et l'inspection générale de la police nationale intègrent nos recommandations et leur suivi à celui de leurs propres recommandations. En somme, il s'agit de faire en sorte que nos recommandations entrent dans les référentiels de contrôle interne des administrations. Ce processus d'intégration est bien en marche. Ainsi, au sein de l'administration pénitentiaire, la mission de contrôle interne, lorsqu'elle contrôle un établissement, contrôle non seulement ce qu'elle a recommandé elle-même, mais aussi ce qui a été recommandé par l'inspection générale de la justice et par le CGLPL. C'est d'ailleurs cette même mission qui est chargée de nous répondre tous les ans au sujet du suivi des recommandations faites trois ans auparavant.
Le cas de Bedenac est particulier, puisqu'il s'agit d'un site sur lequel nous avons formulé des recommandations en urgence. Dans ce cas, nous ne nous contentons pas d'un suivi déclaratif et retournons constater sur place, ce qu'en l'occurrence nous ferons bientôt, les recommandations datant de dix-huit mois. Bedenac est un centre de détention hébergeant des détenus qui sont également des patients dépendants qui, pour des raisons judiciaires ou de difficultés de placement à leur sortie, ne bénéficient pas de suspension de peine pour raisons médicales et restent à la charge de l'administration pénitentiaire. Or, cette dernière n'est absolument pas organisée pour assumer cette prise en charge. Elle a donc fait au mieux, assez bien, mais toute seule. Elle n'a pas bénéficié du soutien des deux institutions qui auraient dû l'aider, à savoir d'une part le système sanitaire et d'autre part l'aide sociale, qui relève du département. Nous y avons donc trouvé des patients grabataires, parfois en situation d'obésité très grave, que les personnels de l'administration pénitentiaire n'étaient tout simplement pas en mesure de sortir de leur lit, y compris lorsqu'ils étaient souillés.
La situation du centre hospitalier Laborit est tout à fait différente. Notre visite datant du mois de juin, l'établissement n'a pas encore reçu le rapport provisoire que nous lui adresserons au titre de la procédure contradictoire. Suivant nos impressions, il s'agit d'un établissement assez semblable aux autres, dans lequel on rencontre les difficultés habituelles propres à la psychiatrie. Il bénéficie de la présence d'une université à proximité. Il est plutôt bien tenu et les droits des patients y sont respectés, bien que la prise en compte de la dimension juridique de la prise en charge ne soit pas toujours optimale. Les recommandations porteront donc vraisemblablement sur ce dernier point, ainsi que sur le mode de calcul et la politique de réduction des recours à l'isolement et à la contention.