Malgré les compliments que vous avez adressés sur les évolutions constatées à Fresnes, la situation reste préoccupante et le directeur interrégional des services pénitentiaires estime que cet endroit devrait être rasé tant il est ignoble. La dernière lettre que j'ai reçue de Fresnes est celle d'un homme qui m'appelle à l'aide car sa cellule est envahie de cafards. Plusieurs prisonniers se plaignent de ne pouvoir aller à la selle, gênés par la présence de leurs codétenus. Certains se privent de promenade pour pouvoir rester seuls en cellule afin d'assouvir ce besoin ou vont même jusqu'à se priver de manger pour réduire la fréquence de leurs selles. À la prison de Toulouse Seysses, un détenu a attrapé la leptospirose, maladie transmise par l'urine des rats. Les maisons d'arrêt sont des endroits terrifiants à cause de la surpopulation. La commission de sécurité a rendu un avis favorable à la continuité d'exploitation pour la dernière que j'ai visitée, en se basant toutefois sur le nombre théorique de places et non sur le nombre réel d'habitants. Dans cette prison, il n'y a pas de plaques chauffantes car le système électrique ne le permet pas. Les détenus utilisent par conséquent des « chauffettes » fabriquées à partir de quatre tubes de concentré de tomate dans lesquels ils enroulent des mouchoirs imbibés d'huile. Ils posent une casserole en équilibre sur quatre boites de conserve et mettent le feu à l'huile. Ce système est peu efficace, génère des émanations d'huile brûlée particulièrement incommodantes et surtout un risque d'incendie très élevé. Ce genre d'évènement n'est d'ailleurs pas rare. Lors de notre visite à Gradignan, un incendie volontaire s'est déclaré, ayant entraîné la mort d'au moins une personne. La surpopulation se traduit aussi par l'impossibilité de respecter l'obligation de soin, le délai d'attente pour voir un psychiatre étant de trois mois. Certains percent leurs abcès dentaires eux-mêmes parce qu'aucune escorte n'est disponible pour les accompagner chez le dentiste. Presque aucune activité n'est organisée dans la mesure où les participants seraient trop nombreux. Les surveillants travaillent dans la détresse la plus totale et affirment qu'ils refuseraient d'entrer dans les cellules en tant que détenus. À l'ouverture de Toulouse Seysses, on comptait un surveillant pour 50 détenus. Aujourd'hui, le ratio est d'un surveillant pour 140 détenus. Qui de nous accepterait un triplement de sa charge de travail ? C'est impossible.
Le coût d'une journée en prison s'élève à 110 euros par détenu. Malgré ce coût élevé, les personnes ressortent de prison pires qu'elles n'y sont entrées, sans n'y avoir rien appris. À quoi peut bien servir le fait de passer vingt-deux heures sur vingt-quatre dans des cellules telles que je viens de vous les décrire ? Si vous avez lu le formidable rapport du Secours catholique et d'Emmaüs « Au dernier barreau de l'échelle sociale : la prison », vous constaterez l'importance de l'indigence et de l'illettrisme en prison, auxquels la détention ne change rien. Pourtant, certains ont plus de chance et lorsqu'ils ont accès à un certain nombre d'activités, ils ressortent en bien meilleur état. On le doit au personnel pénitentiaire et au personnel de l'Éducation nationale. Nous avons d'ailleurs bientôt rendez-vous avec le ministre de l'Éducation nationale afin de solliciter de sa part des interventions plus pérennes en milieu carcéral. En effet, les professeurs y bénéficient des mêmes congés que leurs homologues à l'extérieur. Par conséquent, un adolescent incarcéré en juin et sortant en septembre ne reçoit aucune heure de cours.
Nous prônons fermement la régulation carcérale. Nous avons eu le grand plaisir d'accueillir au Contrôle général une trentaine d'organisations syndicales des personnels pénitentiaires, des magistrats, des avocats, et d'autres professionnels intervenant en prison. Toutes, à part deux, préconisent également la régulation carcérale. Nous avons ainsi constitué un groupe de travail afin de préparer un texte en ce sens. Sans même parler d'humanisme ni de droits de l'homme, un simple calcul économique et rationnel pour la société suffit à considérer la nécessité de faire sortir les détenus de prison meilleurs qu'ils n'y sont entrés.
Nous déplorons également la navette permanente de 500 étrangers entre centre de rétention et prison, qui coûte des sommes démentes. En rétention, on dénombre en fait une large majorité de sortants de prison. Certains détenus demandent même à retourner en prison car les conditions y étaient moins mauvaises qu'en rétention. Dans ces centres, initialement prévus pour des séjours de deux semaines, on passe actuellement 90 jours. Pendant la crise de la covid-19, la promiscuité était grande et le port du masque inexistant. Pourtant, la base légale même de la rétention est en cause, dans la mesure où les étrangers doivent y être retenus le temps strictement nécessaire à leur éloignement, alors que dans les faits, ces personnes sont rarement renvoyées à l'extérieur de nos frontières. Comment résoudre ce problème ? Ne devrions-nous pas intégrer les étrangers qui travaillent, qui paient des impôts chez nous et qui constituent malheureusement les cibles les plus faciles à attraper et à renvoyer ?
J'en viens à la question des centres éducatifs fermés (CEF), qui sont les antichambres de la prison. Ces structures sont très préoccupantes. On y trouve le meilleur comme le pire. S'agissant du pire, nous avons récemment visité un centre sur lequel nous avions en amont réalisé un rapport catastrophique. Nous avons été invités un an plus tard à le visiter et à mesurer les efforts de la directrice dans l'application scrupuleuse de l'ensemble de nos recommandations. À notre arrivée, l'endroit paraissait idyllique. Les jeunes nous avaient préparé le repas, nous avons déjeuné avec eux et ils disposaient même d'une salle de détente. Quatre jours plus tard, un syndicat de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) m'a annoncé que la directrice entretenait une relation sexuelle avec l'un des enfants et que le centre allait fermer. Ce fut une expérience cuisante pour nous. Certains centres sont certes absolument formidables. J'en ai visité un, en particulier, qui propose de nombreuses activités. Les enfants y sont heureux, l'absence de murs ne les incite pas à se sauver. Le centre a lié des relations avec la ville proche. Ainsi, les enfants servent les repas à la maison de retraite et fabriquent du mobilier pour les pensionnaires. Cependant, certains CEF sont des endroits abominables. Je suis ennuyée que le Gouvernement prévoie de multiplier leur création, car je crois que le modèle n'est pas du tout stabilisé.