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Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du mardi 25 octobre 2022 à 17h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux :

Plus on en construit, plus on les remplit. Conclusion : il ne faut plus en construire ! Comment, dans ces conditions, règle-t-on le problème de nos prisons indignes ?

Vous m'avez interrogé sur la répartition des effectifs au sein des services judiciaires. Il y aura 2 253 créations de postes en 2023, contre 720 en 2022. Elles seront réparties de la façon suivante : 1 220 postes dans les services judiciaires (SJ), dont 200 magistrats, 91 métiers du greffe, 575 personnels d'encadrement et 254 personnels administratifs et techniques ; 809 postes à la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) ; 92 à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ; et 132, enfin, au sein du secrétariat général en charge du pilotage de la politique de la justice.

Vous m'avez également interrogé au sujet de l'Atigip et du transfert de la compétence de la formation professionnelle aux régions. Je ne peux pas vous en dire davantage, précisément parce que ce sont les régions qui gèrent cela, mais sachez que nous sommes extrêmement vigilants. La formation professionnelle et le travail en détention sont absolument essentiels : ce sont des éléments clés de la réinsertion. J'entends beaucoup de « y'a qu'à, faut qu'on », mais il y avait peu de monde au balcon quand il s'est agi de voter le contrat du détenu travailleur, dont je ne suis pas peu fier. Pour les détenus, cela permet d'avoir un travail rémunéré – 45 % du SMIC – et la prise en charge des droits sociaux et des formalités administratives par l'État. Pour les patrons, c'est un coût de production moins élevé. Le salaire permet en outre d'indemniser les victimes. Ce dispositif crée une boucle cinq fois vertueuse.

J'en viens aux questions qui m'ont été aimablement posées par le Rassemblement national, qui me taxe de laxisme. Je rappelle que, sous la droite classique, vous aviez voté des aménagements de peine jusqu'à deux ans d'emprisonnement. C'est nous qui avons limité cette possibilité aux peines d'un an. Par ailleurs, le rappel à la loi a été supprimé, et l'avertissement pénal probatoire n'a strictement rien à voir.

Vous me parlez du programme présidentiel de Mme Le Pen. Elle souhaitait qu'il y ait 9 000 magistrats, mais nous avions déjà allègrement dépassé ce chiffre, ce qui montre l'intérêt qu'elle porte à ce sujet ! Elle voulait une peine de perpétuité réelle, qui existe depuis des temps immémoriaux dans notre code pénal. C'est du reste la sanction qui a été infligée, dans le procès V13, à M. Salah Abdeslam. Elle voulait encore des courtes peines, comme aux Pays-Bas. Or, les Pays-Bas y ont renoncé, parce que ça ne marche pas. Vous nous avez menti pendant toute la campagne, et c'est insupportable.

Entre 2001 et 2020, en matière criminelle comme en matière délictuelle, on a enregistré une hausse de la sévérité des peines prononcées, que vous le vouliez ou non. Vous avez évoqué une affaire en particulier, dont je comprends bien qu'elle puisse choquer, mais des milliers de décisions de justice sont rendues chaque année. Si j'ai introduit la justice filmée, c'est justement pour que les gens comprennent à quel point il est difficile de prononcer une peine et à quel point la personnalisation de la peine est importante ; pour que les gens voient que, dans un jury populaire, certains peuvent trouver une peine trop sévère, et d'autres, la trouver trop légère. C'est le jury populaire, ce sont nos compatriotes, qui fixent le quantum de la peine.

Par ailleurs, la fréquence du prononcé de l'emprisonnement ferme est en hausse. Entre 2002 et 2005, l'emprisonnement était prononcé pour 20 % des condamnations et pour 59 % des récidives ; entre 2016 et 2019, ces proportions étaient de 27 et 68 %. Près de 116 000 peines d'emprisonnement ferme ont été prononcées en 2010, 120 000 en 2015 et 132 000 en 2019. Ce qui est extraordinaire, c'est que vous me reprochez à la fois le laxisme de la justice – en oubliant que le garde des sceaux ne peut pas donner de directives et que les magistrats sont indépendants – et la surpopulation carcérale. C'est extraordinaire !

De 2009 à 2021, le taux de poursuite s'est accru de près de deux points. Le nombre de classements sans suite pour inopportunité des poursuites est passé précisément de 182 552 à 173 999. Vous vous arrêtez sur une affaire en particulier, c'est ce que j'appelle la « fait-diversification de la justice ». Vous poussez des cris d'orfraie et c'est naturellement le garde des sceaux qui est responsable de tout. Et vous, vous avez la solution !

Vous avez mille fois raison de citer Beccaria : c'est un grand humaniste, et l'humanisme, c'est tellement important, quand on parle de justice ! Mais les chiffres que vous donnez au sujet de l'exécution des peines sont faux. Il y a une hausse de 35 % de la population de détenus. Elle est supérieure de 7,8 % à la hausse du nombre de places opérationnelles. Les peines fermes prononcées par les tribunaux correctionnels sont exécutées : à 72 % dans un délai d'un an ; à 85 % dans un délai de deux ans ; à 91 %, au-delà. Je trouve que ces délais sont encore trop longs et je travaille à les réduire, mais laissez-moi vous expliquer une chose : les peines qui ne sont pas exécutées ne constituent pas un stock de peines mortes.

Le mandat de dépôt à l'audience, c'est l'exécution immédiate, : la personne est menottée et elle part tout de suite en prison. En revanche, pour qu'une peine aménageable soit exécutée, il faut réunir le juge d'application des peines et les CPIP. Il faut faire des enquêtes, s'assurer que c'est faisable, voir si la personne a un domicile, une ligne téléphonique : tout cela prend un peu de temps, qui est un temps de non-exécution. Mais il n'y a pas un stock de peines mortes : vous racontez cela sur tous les plateaux de télévision et c'est faux ! Au mieux, c'est une méconnaissance. Au pire, c'est un mensonge, et c'est politiquement très grave. En décembre 2020, ce sont 100 613 peines d'emprisonnement ferme qui étaient en attente d'exécution. Il s'agissait principalement de courtes peines ; 97 % de ces peines étaient aménageables. Comparez nos chiffres à ceux des autres pays européens et vous verrez que nous n'avons pas à rougir des nôtres.

Monsieur Coulomme, comment pouvez-vous me demander combien de morts il faudra pour que je réagisse ?

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