Monsieur le garde des sceaux, le ministère dont vous avez la charge craque de partout : manque chronique de moyens humains et financiers, manque de considération. Cela fait de trop nombreuses années que la justice est délaissée par le pouvoirs publics. Ce n'est pas de votre seul fait, certes, mais c'est à vous qu'il appartient désormais de proposer un budget à la hauteur des enjeux. Le rapport de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice du 5 octobre dernier confirme que la France continue de figurer parmi les pays qui, à PIB comparable, investissent le moins dans leur justice. Les conséquences de ce manque de moyens sont terribles, tant pour les professionnels de la justice que pour les justiciables. Ainsi, les délais de traitement des affaires pâtissent de ce sous-investissement : en moyenne, un dossier en première instance pour une procédure civile est résolu en 637 jours en France, contre 237 jours dans le reste de l'Europe. La hausse du budget de plus de 8 % est un début, mais elle nous paraît encore trop faible au regard des besoins, d'autant qu'une large partie de celle-ci sera absorbée par l'administration pénitentiaire.
Je souhaite aborder en particulier la question de la dotation annuelle de l'aide juridictionnelle, qui est largement insuffisante. Dans le barreau où j'exerce, elle a été épuisée dès le mois de juin cette année, et la dotation complémentaire l'a été dès le mois de septembre. La modification des critères d'accès à l'aide juridictionnelle semble en être la cause, mais c'est surtout l'augmentation de la pauvreté en France qui entraîne une demande plus importante. Pour 2023, le budget accordé à l'aide juridictionnelle augmentera de 4,2 % : c'est un bon début mais cela nous paraît encore très insuffisant. La pauvreté en France explose : 12 millions de personnes vivent désormais en dessous du seuil de pauvreté, ce qui représente 18,46 % de la population ; à La Réunion, ce taux s'élève même à 20 %. L'augmentation des crédits de l'aide juridictionnelle doit donc accompagner cette réalité. Or, la pauvreté ne figure pas dans les différents critères d'analyse de votre ministère pour évaluer le besoin : pas de mention de l'explosion de ce phénomène, pas de prise en compte de ses conséquences directes, pas de projection sur l'augmentation des demandes d'aide juridictionnelle. Nous craignons donc que l'augmentation de la dotation pour 2023 soit bien en deçà de ce qui serait nécessaire.
En conclusion, le budget que vous présentez est encore très insuffisant au regard des besoins et des objectifs affichés. Je crains que, pour compenser cette insuffisance, vous ne décidiez dans un prochain projet de loi de réforme de la justice de généraliser quelques procédures complexes qui éloigneront encore plus le justiciable de la justice ou contribueront à diminuer le nombre d'affaires traitées à grands coups de caducité, de nullité ou d'irrecevabilité. Le besoin de justice est toujours plus important dans notre société où les inégalités se creusent. En tiendrez-vous compte ?