La justice est à la croisée des chemins. Délaissée pendant près de trois décennies, elle fait l'objet, depuis cinq ans, d'un renforcement massif, traduction de la volonté claire du Président de la République et de la Première ministre, mais également la mienne, de considérer la justice pour ce qu'elle est : une institution essentielle qui fonde le pacte social.
Il vous revient, en tant que parlementaires, de poursuivre sur cette voie du renforcement de notre justice, ou de bifurquer vers les réflexes des décennies passées : sous-dotation chronique, effets d'affichage sans lendemain, court-termisme, etc.
Vous l'aurez compris, je vous propose de rester sur la voie de la restauration massive d'une justice rapide, efficace, proche de nos concitoyens, la justice de qualité que nous appelons tous de nos vœux.
En effet, après deux hausses de 8 % en 2021 et 2022, le projet de budget consacre une troisième augmentation consécutive de 8 % en 2023 au profit de notre justice. Ce sont ainsi 710 millions d'euros supplémentaires qui viendraient abonder en 2023 le service public de la justice, dont les crédits s'élèveraient au total à 9,6 milliards d'euros pour l'année 2023.
Si vous la votez, ce sera, en termes sonnants et trébuchants, la plus forte hausse de l'histoire du budget de la justice, comparée respectivement à celle de 660 millions d'euros l'année dernière et de 620 millions d'euros l'année précédente.
Cette hausse, pour massive qu'elle soit, a été calibrée pour que les services du ministère soient en mesure de l'exécuter pleinement et, ainsi, de combler de manière sérieuse et efficace des besoins forts. Car oui, les deniers publics doivent toujours être utilisés de la manière la plus efficace.
Pour 2023, l'augmentation est répercutée de la manière suivante sur les trois axes du ministère : 9 % de hausse pour les services judiciaires, soit un budget de 3,39 milliards d'euros; 7 % pour l'administration pénitentiaire, soit un budget de 3,91 milliards d'euros ; sans oublier, une hausse de plus de 10 % au bénéfice de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), pour un budget de 917 millions d'euros.
En trois exercices, le budget de la justice a bénéficié de 2 milliards d'euros supplémentaires, passant ainsi de 7,6 milliards en 2020 à 9,6 milliards en 2023. Cela représente une augmentation de 26 % depuis mon arrivée, et de plus de 40 % depuis le début du premier quinquennat du Président de la République.
C'est donc un nouvel effort budgétaire inédit, s'inscrivant dans une trajectoire pluriannuelle inédite, que j'aurai l'occasion de vous présenter prochainement dans le cadre de la future loi de programmation pour la justice pour les années 2023 à 2027.
Le cap est clair : poursuivre le rattrapage de trente ans d'abandon humain, politique et financier de la justice, et mettre en œuvre les recommandations issues des États généraux de la justice, recommandations que j'ai soumises à concertation ces derniers mois.
Permettez-moi maintenant de vous présenter dans le détail ce que ces moyens supplémentaires permettront de financer en 2023 et dans les années à venir.
Premièrement, la justice, ce sont avant tout les femmes et les hommes engagés au quotidien au service de nos concitoyens pour la faire fonctionner contre vents et marées. Je veux ici rendre un hommage appuyé à leur engagement sans faille. Merci aux magistrats, greffiers, personnels pénitentiaires, juristes assistants, avocats, professions du droit et agents administratifs pour leur engagement dans l'œuvre de justice.
Pendant trois décennies, ces hommages ont eu lieu chaque année sans que les actes ne soient joints à la parole. Depuis 2017, nous nous sommes précisément donné les moyens de remplacer les mots par des actions concrètes de reconnaissance et de renforcement de notre justice.
Nous allons accentuer, dès 2023 et sur les cinq prochaines années, le rythme et l'intensité des efforts en faveur du renforcement des moyens humains.
C'est la raison pour laquelle ce budget acte le plan de recrutement le plus important de l'histoire du ministère : 10 000 emplois supplémentaires pérennes, des « sucres lents », si je puis dire, d'ici à 2027, dont 605 emplois en juridictions qui ont d'ores et déjà été pérennisés au titre de la justice de proximité à la mi-2022.
C'est inédit, et même si comparaison n'est pas raison, je rappelle que 7 270 emplois ont été créés au cours du premier quinquennat du Président de la République ; cela représente une hausse de 11 % des emplois du ministère de la justice, qui compte aujourd'hui 90 000 personnels.
Ces 10 000 emplois seront répartis finement, année après année, en fonction des besoins identifiés sur le terrain, mais également des nécessités opérationnelles résultant à la fois des campagnes de recrutement et de l'avancement des projets immobiliers très ambitieux du ministère.
Néanmoins, je peux d'ores et déjà vous annoncer que seront sanctuarisés 1 500 postes de magistrats et 1 500 postes de greffiers supplémentaires sur la durée de tout le quinquennat, afin de renforcer les effectifs en juridictions.
Le nombre de postes de magistrats et greffiers créés sous le premier quinquennat étant respectivement de 700 et 850, nous doublerons donc le rythme de ces recrutements essentiels.
Pour 2023, ce sont 2 253 personnels qui arriveront dans les établissements pénitentiaires, dans les juridictions et dans les structures de la protection judiciaire de la jeunesse. Pour mémoire, 720 créations d'emplois étaient prévues en 2022. Nous triplons donc le rythme des recrutements en une seule année.
Ces 2 253 personnels seront répartis de la façon suivante : 1 220 pour la justice judiciaire, avec notamment 200 magistrats et 191 greffiers ; 809 pour l'administration pénitentiaire ; 92 pour la protection judiciaire de la jeunesse. Le reste, soit 132 personnels, bénéficiera à la coordination de la politique publique de la justice.
Par ailleurs, 60 créations d'emplois sont prévues pour nos opérateurs : 26 pour l'École nationale de la magistrature (ENM), 19 pour l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) et 15 pour l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC).
Deuxièmement, pour assurer ce niveau inédit de recrutement, je souhaite renforcer encore l'attractivité des métiers de la justice par des revalorisations salariales. À cet égard, le budget pour 2023 rehausse les crédits consacrés aux mesures catégorielles, atteignant ainsi 80 millions d'euros en 2023. Cela représente un doublement de l'enveloppe déjà importante de 2022 et une multiplication par plus de cinq depuis 2019.
Comme je l'ai annoncé dernièrement, les magistrats bénéficieront à compter du 1er octobre 2023 d'une revalorisation inédite de 1 000 euros brut par mois en moyenne. C'est la juste reconnaissance de leur engagement pour faire fonctionner le service public de la justice dans des conditions parfois difficiles. Je suis particulièrement conscient des difficultés matérielles qui demeurent. C'est bien pour cela que je m'échine à décrocher les budgets les plus importants et j'accepte volontiers qu'ils soient comparés à ceux de mes prédécesseurs. Je me bats car j'ai la certitude qu'il reste beaucoup à faire. Contrairement à ce que certains ont pu croire, je n'ai jamais dit que la justice avait été réparée. J'ai dit que j'avais réparé l'urgence, mais un journal n'a pas jugé bon de reprendre l'intégralité de mes propos. Si je n'avais pas cette certitude, je ne me serais pas battu pour organiser les États généraux dont le but est de simplifier les procédures et de renforcer les moyens dont notre justice a tellement besoin.
À tous ceux qui donnent des leçons de morale à la majorité à longueur de journée, de tous bords, qui n'ont pas été capables de ramener un centime pour les magistrats, ni un centime pour les greffiers, ni un centime pour les agents pénitentiaires, ni un centime pour les « sucres rapides », je dis « ça suffit ! ». Oui, il reste beaucoup à faire, mais il n'est pas encore élu, le gouvernement qui aura fait mieux que nous en la matière… surtout quand on sait que nous avons fait plus en deux ans pour les moyens de la justice que la gauche en cinq ans, et que la droite pour laquelle les chiffres sont négatifs. Nous avons embauché 700 magistrats, alors que, sous François Hollande, ils n'étaient que 27 et que, sous Nicolas Sarkozy, on taillait à la hache dans la fonction publique et on ne remplaçait pas les magistrats qui partaient à la retraite.
Je le dis avec force, 2023 sera encore une grande année ; l'enveloppe catégorielle de 50 millions d'euros permettra d'atteindre deux objectifs : l'attractivité de tous les métiers de la justice, et la fidélisation des femmes et des hommes qui travaillent au service de la justice de notre pays.
L'effort inédit de revalorisation indemnitaire des greffiers et des directeurs de services de greffe sera poursuivi, et plus de 10 millions y seront consacrés en 2023. Au total, c'est une augmentation de 12 % dont bénéficieront les personnels de greffe entre 2021 et 2023. Par ailleurs, j'ai demandé au directeur des services judiciaires d'engager une réflexion sur une réforme du statut des greffiers.
En ce qui concerne les personnels relevant des corps spécifiques de la protection judiciaire de la jeunesse, 7 millions seront consacrés, cette année encore, à des revalorisations indemnitaires. Cette nouvelle étape vise bien sûr à poursuivre la convergence avec les rémunérations de corps équivalents.
Quant aux surveillants pénitentiaires, nous achevons en 2023 la revalorisation de l'indemnité pour charge pénitentiaire, qui est passée de 1 400 à 1 869 euros sur trois ans. Les surveillants pénitentiaires ont bénéficié en 2022 d'une réforme importante de leur statut et de leur rémunération. La fusion des grades de surveillant et de brigadier a permis de simplifier la carrière des agents et de revaloriser de façon importante le salaire indiciaire, notamment en début et en fin de carrière. Comme je l'ai toujours dit, cette réforme était une première étape.
Des travaux, qui seront engagés dès le début de l'année 2023 avec les organisations syndicales, porteront sur une revalorisation d'envergure de leur statut et de leur rémunération pour les années suivantes. Je tiens à rendre hommage aux personnels pénitentiaires, qui font un travail difficile de manière remarquable. Ils ont accepté, ce qu'ils n'avaient pas fait depuis vingt ans, de signer la charte « Principes du surveillant pénitentiaire, acteur incontournable d'une détention sécurisée », dont l'objectif est de dépasser le rôle du porteur de clés. Troisième force de sécurité du pays, ils sont absolument indispensables et pleinement engagés dans la barque républicaine et judiciaire à laquelle nous sommes tous très attachés.
Pour ouvrir les établissements pénitentiaires du plan 15 000 places, nous devons nous donner tous les moyens pour recruter plus et dans de meilleures conditions, et pour fidéliser les agents.
Nous devons porter une attention particulière à nos corps d'encadrement. Qu'ils soient directeurs des services de greffe, directeurs d'insertion ou de probation, directeurs de service à la protection judiciaire de la jeunesse ou directeurs des services pénitentiaires, tous ces agents assurent au quotidien une mission délicate dans des conditions difficiles et mettent en œuvre des politiques complexes en faveur des personnes que nous prenons en charge. Pour toutes ces raisons, près de 10 millions d'euros seront consacrés cette année à une revalorisation de leur régime indemnitaire, mais également indiciaire.
Troisièmement, les crédits permettront de poursuivre et de finaliser le plan de construction des 15 000 places de prison supplémentaires voulu par le Président de la République.
Environ la moitié des établissements seront opérationnels en 2024, sur la cinquantaine de chantiers en cours. De plus, à l'heure où je vous parle, dix-huit opérations sont en chantier dans toute la France, avec par exemple une nouvelle construction de 740 places à la prison des Baumettes, à Marseille, ou la réhabilitation de l'ancien centre des jeunes détenus de Fleury- Mérogis, qui permettra la création de 408 nouvelles places.
En 2023, pas moins de dix établissements pénitentiaires seront livrés : sept structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), dont Avignon, Valence, Meaux ou Osny, et trois centres pénitentiaires, dont Caen et Troyes-Lavau que j'ai pu visiter en juillet dernier.
En 2023, plus de 441 millions d'euros sont inscrits au budget pour la réalisation du programme 15 000.
Celle-ci a été marquée, à ses débuts, par la difficulté des recherches foncières, souvent pour des raisons de faisabilité technique ou environnementale – découverte d'espèces animales protégées notamment –, mais également d'acceptabilité de la part des élus ou des riverains. En la matière, à l'instar des frites McCain, ce sont ceux qui en parlent le plus qui en mangent le moins… Ceux qui ont fait de la sécurité leur cheval de bataille ne sont pas au rendez-vous des obligations citoyennes et du courage nécessaire pour accepter l'implantation d'un établissement pénitentiaire dans sa commune ou sa circonscription.
La mise en œuvre du plan a également été entravée par des démarches contentieuses. Toutefois, puisque les terrains nécessaires au lancement de l'ensemble des projets sont désormais identifiés, les opérations ont pu entrer dans leur phase active et le rythme des livraisons va maintenant s'accélérer, pour s'échelonner jusqu'à fin 2027 et tenir ainsi les engagements du Président de la République.
Le plan 15 000 compte près de 2 000 places de SAS afin d'offrir un meilleur accompagnement aux détenus pour lutter avec acharnement contre la récidive. On parle tant des récidivistes – et oui, c'est un échec à chaque fois pour nous tous –, mais on ne parle jamais du détenu qui ne récidive pas. Et pourtant, on le sait, en évitant les sorties sèches, on diminue le nombre de récidives.
Le plan 15 000, qui portera à plus de 75 000 le nombre de places de prison, nous laisse entrevoir très sérieusement pour la première fois la possibilité d'atteindre notre objectif de 80 % d'encellulement individuel à l'horizon 2027. Nous vous proposerons donc de proroger, pour la dernière fois, le moratoire en la matière, pour que sa fin coïncide avec la sortie de terre de la totalité des constructions prévues dans le cadre du plan 15 000.
Enfin, je souhaite également engager les opérations nécessaires de réhabilitation des établissements pénitentiaires les plus vétustes, en particulier l'opération majeure et prioritaire de réhabilitation du centre pénitentiaire de Fresnes, dont monsieur le président, vous savez qu'elle est nécessaire puisque vous l'avez visité dernièrement avec les députés de cette commission, afin d'y montrer notamment que la prison, ce n'est pas le « Club Med » ou tout autre parc d'attractions auquel elle est parfois comparée.
La construction de nouveaux établissements et la rénovation des établissements existants améliorent non seulement la dignité des conditions de détention, mais aussi les conditions de travail du personnel. La prison doit assurer une réponse pénale ferme, sans démagogie, empreinte d'humanisme, mais sans angélisme. Les conditions de détention dignes permettent aux personnels pénitentiaires de mieux réinsérer les personnes détenues. Il faut faire une place au travail en prison dans les projets de construction ou de rénovation, par exemple en prévoyant des espaces pour stocker du matériel pour les entrepreneurs.
Quatrièmement, je souhaite moderniser et agrandir l'immobilier juridictionnel pour permettre l'accueil des renforts humains dans les années à venir.
Ce sont 502 millions d'euros d'autorisations d'engagement et 269 millions d'euros en crédits de paiement immobiliers qui sont prévus en 2023 pour permettre : de poursuivre les opérations d'ampleur engagées lors du quinquennat précédent, notamment les chantiers des palais de justice de Lille, de l'Île de la cité à Paris, de Bayonne, etc. ; de poursuivre les études des projets de Cayenne, Cusset, Meaux, Moulins, Nancy, Nantes, Perpignan, etc. ; enfin, de lancer de nouvelles opérations immobilières comme à Argentan, Chartres, Colmar, Saint-Brieuc ou Verdun.
Cinquièmement, enfin, j'évoquerai certains budgets qui permettront de moderniser et d'améliorer concrètement le fonctionnement du service public de la justice et le bien-être de ses agents.
L'enveloppe des crédits consacrée aux dépenses de frais de justice sera portée à 660 millions d'euros pour renforcer les moyens d'enquête et d'expertise de la justice. Cette hausse de 12 millions d'euros porte à 170 millions l'effort consenti en faveur de ces moyens depuis mon entrée en fonctions et contribuera notamment à faciliter le déstockage des affaires, déjà engagé – il représente 30 % pour les affaires civiles à l'échelle nationale. Cela représente du temps judiciaire gagné et du temps d'attente en moins pour nos compatriotes lorsqu'ils sollicitent la justice.
Les crédits d'investissement informatique seront portés à 195 millions d'euros dans le cadre de la poursuite de la mise en œuvre du plan de transformation numérique ministériel. Ils concernent principalement les grands projets informatiques comme ASTREA, ATIGIP 360, PORTALIS ou la PPN – procédure pénale numérique. En parallèle, la mise à niveau technique des infrastructures, telles que les centres de production et le réseau, sera renforcée. J'ai dernièrement recruté un secrétaire général adjoint chargé du numérique, et des informaticiens seront déployés massivement, à raison d'un dans chaque juridiction, pour répondre immédiatement aux besoins du quotidien, notamment en cas de panne ou de bug.
Les crédits de l'accès au droit et à la médiation s'élèveront à 713 millions d'euros en 2023, ce qui représente une hausse de 33 millions d'euros par rapport à 2022, soit 5 %. Dans cette enveloppe, les crédits dédiés à l'aide juridictionnelle continueront de croître en 2023 pour atteindre 641 millions d'euros, ce qui équivaut à une hausse de 26 millions d'euros en une année, soit environ 4 %.
Parallèlement, l'aide aux victime est portée à 43 millions d'euros, soit une hausse de 7 %, ce qui traduit l'importance que j'accorde à cette politique, qui est une priorité gouvernementale.
Sur cette enveloppe, 16,1 millions d'euros seront dédiés aux violences intrafamiliales – VIF –, marquant un doublement du budget VIF, qui était de 8 millions d'euros à mon arrivée en 2020.
Enfin, le renforcement de l'action sociale offerte par le ministère à ses agents sera poursuivi, avec 38 millions d'euros mobilisés en 2023, soit 8 % de plus que les 35 millions d'euros de 2022.
Voilà les grandes lignes du projet de budget 2023 pour la justice, qui frôle désormais les 10 milliards d'euros.