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Intervention de Ugo Bernalicis

Réunion du mardi 18 octobre 2022 à 21h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis, rapporteur pour avis :

Cette mission est constituée du programme 354 Administration territoriale de l'État, du programme 232 Vie politique et du programme 216 Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur. J'ai consacré mon étude thématique à l'accueil des usagers dans les services publics, notamment dans les préfectures et les sous-préfectures, ainsi que dans les maisons France services.

Lorsque nous vous alertions sur les suppressions d'effectifs dans les administrations déconcentrées, nous nous entendions dire qu'il n'y avait pas de difficultés et que les gains d'effectifs dus à la dématérialisation seraient redéployés, surtout dans les services d'accueil des étrangers. La Cour des comptes s'est chargée de rétablir la vérité, dans un rapport paru le 14 avril 2022 sur « Les effectifs de l'administration territoriale de l'État ». Elle s'y montre très sévère avec la politique menée dans le cadre des réformes successives, notamment du programme Action publique 2022 et de la mise en œuvre du Plan préfectures nouvelle génération (PPNG). Elle montre que le gain en équivalents temps plein travaillé (ETPT) ne correspond pas aux objectifs que le ministère s'était lui-même fixés et que les redéploiements promis au lendemain de la mobilisation des gilets jaunes pour renforcer l'échelon départemental n'ont pas été tous réalisés. Elle indique, sans doute avec plus d'autorité que moi, que le recours aux contrats infra-annuels a augmenté, pour un coût qui est passé de 10 à plus de 60 millions d'euros, entraînant de nombreuses difficultés de gestion des personnels.

La Défenseure des droits a remis deux rapports, en 2019 et en 2022, sur la dématérialisation des services publics. Elle note que celle-ci est souvent à l'origine des signalements concernant les relations entre les administrations et les citoyens, en augmentation de 18 %. Nous avons dénoncé les conditions dans lesquelles les étrangers sont accueillis dans les préfectures et les sous-préfectures, notamment en Seine-Saint-Denis, où un business a prospéré pendant quatre ans – il fallait débourser 500 euros pour une prise de rendez-vous – avant qu'une nouvelle procédure y mette fin.

Le Conseil d'État également a rendu, le 3 juin dernier, une décision relative à la dématérialisation des titres de séjours par l'administration numérique pour les étrangers en France (Anef). Il a invité le ministère de l'intérieur à prévoir un accompagnement adapté et une voie de substitution non dématérialisée. La préfecture de Seine-Saint-Denis a remis en place, grâce au concours de six ETP, une procédure d'accueil et de suivi du dossier par un même agent – c'est donc bien qu'un tel dispositif était possible et qu'il peut être dupliqué. Les agents, qui ont été les premiers à souffrir des réformes successives, sont heureux d'y participer.

La réforme des secrétariats généraux communs, d'ordre réglementaire, nous a échappé, mais rien n'empêche que nous nous intéressions à ses conséquences. Toutes les organisations syndicales dénoncent les situations de grande souffrance qu'elle a entraînées, alors que les objectifs de la mise en commun des fonctions supports – ressources humaines, paye, exécution de la dépense – ne sont pour l'instant pas atteints.

Il est prévu de faire machine arrière et de recréer des filières d'accueil dans les préfectures et les sous-préfectures. Nous nous en réjouissons, même si le projet n'a pas de traduction budgétaire ou organisationnelle et qu'il n'est encore qu'à l'état d'ébauche, comme l'a indiqué le secrétaire général du ministère. Un document sur les missions prioritaires des préfectures (MPP) fait état des moyens de fidélisation des agents. Il évoque le complément de rémunération que sont les nouvelles bonifications indiciaires (NBI) – mais d'autres agents se les verront supprimer puisqu'elles sont appliquées à périmètre constant – ainsi que des bons d'achat, pour des vêtements ou le coiffeur – j'ignorais que les agents de préfecture étaient si mal coiffés !

Si l'on veut que ces nouvelles filières d'accueil voient le jour, il faut rémunérer et former les agents correctement. Le ministère, que j'ai interrogé sur ce point, m'a expliqué sérieusement qu'il existait une formation à distance sur la gestion des conflits… Par ailleurs, le premier accueil en préfecture, comme le démontre le rapport de la Cour des comptes, est assuré par des jeunes en service civique, envoyés, sans formation aucune, au-devant d'usagers souvent mécontents. On me l'a expliqué à la préfecture de Seine-Saint-Denis, les services ont du mal à recruter, puis à garder ces jeunes sur toute la durée de leur service.

Le ministre a parlé de 208 ETPT supplémentaires pour le programme 354. Une lecture attentive du projet annuel de performance (PAP) montre cependant qu'il ne faudra compter, pour toute la France, que sur 25 ETPT supplémentaires, puisque 183 ETPT sont transférés d'un autre programme. Je vous laisse juges de l'adéquation de ces chiffres avec les constats dressés par la Cour des comptes et la Défenseure des droits.

Autre point d'alerte, le programme 216 perd des ETPT alors que, pour conduire, encadrer les projets et dépenser les 15 milliards d'euros prévus par le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), il faut des effectifs supplémentaires. Ne croyons donc pas aux phrases grandiloquentes qui annoncent que, pour la première fois dans l'histoire, les effectifs sont stabilisés. On en a tant supprimé ces dernières années qu'il y a urgence à les rétablir.

L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), chargée de piloter, avec peu de moyens, les maisons France services, n'a pas produit d'état des lieux sur leur déploiement. Certaines maisons sont des endroits qui existaient déjà et qui ont été, en quelque sorte, repeints ; d'autres, créées ex nihilo, fonctionnent bien. Toutefois, les agents disent avoir eux-mêmes des difficultés pour établir des contacts privilégiés dans les administrations et aider ainsi les personnes. La Défenseure des droits a même expliqué que, dans certaines villes, les administrations fermaient leurs accueils physiques et renvoyaient les usagers à la maison France services. Il faut que nous restions très vigilants.

Vous l'aurez compris, je rends un avis très critique sur ces programmes. Vous trouverez aussi dans mon rapport une focale sur le Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps), dont les missions et l'activité prendront une certaine ampleur à l'approche des Jeux olympiques.

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