Le budget consacré à l'immigration est certes en hausse, mais pas pour rechercher l'efficacité par l'accueil. C'est un budget qui, depuis quelques années, est déterminé par un agenda politique. On a vu, pas plus tard qu'il y a quelques instants, combien ce thème est instrumentalisé, et à un degré d'écœurement rarement atteint.
Sur la question migratoire, le Gouvernement joue avec le feu. Pourtant, s'il est un défi important à relever pour notre pays et pour de nombreux autres au XXIe siècle, c'est bien celui de l'organisation et de la préparation de l'accueil dans de bonnes conditions. Or ce budget immigration ne s'en soucie pas. Il ne se soucie pas non plus des alertes ou des condamnations prononcées en cas de bafouement des droits humains parfois les plus fondamentaux, comme l'accès à l'eau.
Dans la continuité de la réforme des conditions de rétention portée par le projet de la loi « asile immigration » en 2018, le plan d'investissement dans les centres de rétention prévoit une augmentation du nombre de places et du taux d'occupation. La capacité dite immobilière d'accueil pour l'ensemble des vingt-deux CRA de métropole est de 1 859 places en 2022, contre 1 719 places en 2021. En 2023, elle sera portée à 1 961 places, avec la création du CRA d'Olivet et l'extension de celui de Perpignan.
C'est une rétention qui s'apparente de plus en plus à une détention : on passe désormais directement de la prison au centre de rétention, notamment dans les zones frontalières, comme Menton, où les droits fondamentaux des migrants sont bafoués au quotidien. Une rétention qui continue d'accepter et d'autoriser la présence d'enfants, en dépit des neuf condamnations de la Cour européenne des droits de l'homme, qui considère que la rétention d'enfants constitue un traitement inhumain et dégradant. Si certains ici n'ont rien à faire de la Cour européenne des droits de l'homme, ce n'est pas mon cas, et je pense que nous devons nous soucier de ses condamnations.
En 2021, quarante et une familles, dont soixante-seize enfants, ont été enfermés en rétention dans l'Hexagone, et bien plus à Mayotte. Des pratiques illégales sont toujours constatées, telles que le rattachement fictif de mineurs à des adultes tiers ou des expulsions expéditives, au mépris du droit à un recours effectif, et parfois en violation de l'interdiction de renvois collectifs. J'ai pu constater moi-même, à Menton, le refoulement de mineurs à la frontière.
Dans le même temps, le Gouvernement prévoit une baisse drastique de l'enveloppe allouée à l'allocation pour demandeurs d'asile, puisque cette dernière sera amputée de 36 %. Cette baisse serait justifiée par l'anticipation de délais d'instruction plus serrés et par un renforcement de la lutte contre les fraudes. « Ça va aller mieux, les délais seront raccourcis », c'est ce qu'on nous répète en permanence. Pareil dans les préfectures : la dématérialisation permettra de gagner du temps, donc on réduit les moyens en amont. En réalité, cela ne fonctionne pas ; les délais s'allongent davantage et l'engorgement gagne. Comment ne pas y voir des économies faites sur le non-respect des droits ? Comment le comprendre en pleine guerre de la Russie contre l'Ukraine, alors que les réfugiés ukrainiens disposent de cette aide ?
Dans ce budget comme dans bien des précédents, l'apprentissage du français langue étrangère est le parent pauvre. La langue, si elle n'est pas maîtrisée, peut constituer un réel facteur d'exclusion pour les personnes étrangères, sur le plan social comme professionnel. C'est un incontournable des démarches administratives : maîtrisée, elle est un formidable outil de partage et d'intégration, et permet également un parcours sans rupture, pour peu qu'on y mette les moyens.
Notre pays se prévaut beaucoup de la francophonie en dehors de ses frontières, mais il n'est vraiment pas à la hauteur sur son territoire, alors même que la connaissance de la langue française y est l'une des conditions d'intégration exigée par l'administration. Au reste, si je ne me trompe pas, monsieur le ministre, vous comptez encore renforcer cette condition dans votre projet de loi. Il ne peut donc s'agir seulement d'une injonction ; il faut mettre les moyens. Ce sera le sens de l'un de mes amendements.
Enfin, ce budget est toujours dans l'hypocrisie par rapport à ces 600 000 à 700 000 personnes sans papiers qui travaillent dans notre pays, qui y paient leurs impôts, qui y scolarisent leurs enfants, y vivent et aspirent à y rester. La circulaire Valls participe de cette hypocrisie et aide beaucoup de patrons à exploiter sans vergogne ces salariés.