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Intervention de Andy Kerbrat

Réunion du mardi 18 octobre 2022 à 17h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndy Kerbrat :

Monsieur le ministre, la dernière fois que nous vous avons reçu en commission, je vous avais demandé la libération d'un Guinéen séropositif du centre de rétention de Vincennes. Vous aviez produit son fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) sans vous soucier de son état de santé. Il y a deux jours, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a suspendu la décision de placement en centre de rétention. Je vous avais pourtant demandé de vous conformer au droit international et européen, en respectant le droit à la vie privée et familiale et à la dignité humaine, et d'arrêter de faire la courte échelle à l'extrême droite sur l'asile et l'immigration.

Cette mission budgétaire trahit le fond de votre pensée. L'humanisme, ce n'est pas vous ! Votre budget se résume à une hausse record du budget de l'éloignement de 15,3 %, face à une diminution des crédits de la garantie d'exercice du droit d'asile. C'est bien la marque des orientations sécuritaires voulues par votre Gouvernement au détriment de l'accès aux droits et de la solidarité envers les personnes migrantes et les demandeurs d'asile de notre pays. Cela nous donne un avant-goût de votre projet de loi à venir sur l'asile et l'immigration.

Je ne pense pas que cette politique budgétaire évitera à la France les condamnations de la CEDH, les avis alarmants du Comité des droits de l'homme de l'ONU et les saisines de plus en plus fréquentes de la Défenseure des droits. Dans votre politique de l'éloignement, vous consacrez un budget non négligeable à la création de places en centre de rétention administrative, ces lieux qui remplacent la prison et maintiennent le principe de double peine, abolie depuis 1981. Confronté aux problèmes d'insécurité, comme à Nantes, plutôt que de recruter dans la police judiciaire, vous annoncez l'ouverture prochaine d'un centre de rétention. Quel rapport ? A priori, aucun, sauf à faire un amalgame raciste, comme le fait si bien notre collègue du Rassemblement national.

En dehors du contexte pandémique, la France enferme près de 25 000 personnes, dont des enfants. Pourtant, le taux d'éloignement depuis les centres de rétention reste faible au regard du nombre élevé de personnes enfermées – 42,5 % en 2021. Toutes les associations présentes en centre de rétention démontrent, année après année, qu'enfermer plus de personnes, et plus longtemps, ne conduit pas nécessairement à des éloignements effectifs si les placements n'ont pas été réalisés avec discernement. Pourquoi continuer ce qui ne marche pas ?

Nous aurions pu nous réjouir de l'augmentation du programme Intégration et accès à la nationalité française, et notre groupe a salué l'ouverture de l'accès à la nationalité aux ressortissants étrangers ayant été en première ligne pendant la crise sanitaire. Mais le manque de personnel pour traiter les dossiers, la dématérialisation et la disparité des pratiques préfectorales n'ont fait qu'allonger les délais d'attente. Des médecins, des caissières, des infirmiers, des aides à domicile qui se sont mis au service de la nation attendent toujours une réponse. Ces admissions que l'on appelle pudiquement « exceptionnelles au séjour » dépendent de décisions totalement arbitraires, chaque préfecture faisant sa loi. La République est une et indivisible, mais pas ses commissaires…

Au lieu de lancer un plan massif de recrutement et d'uniformisation des pratiques préfectorales, vous engagez des crédits dans une dématérialisation déshumanisante et, donc, dans l'exclusion.

Quant à l'asile, à la suite de l'agression russe, notre pays s'est honoré en accueillant les réfugiés ukrainiens. Cet accueil inédit est sans commune mesure avec tous les autres dispositifs mis en place. Grâce au statut de la protection temporaire, les Ukrainiens ont pu accéder immédiatement à des droits que seuls les nationaux et les réfugiés installés de longue date peuvent obtenir – les autres personnes étrangères doivent attendre le traitement de leur demande de titre de séjour ou d'asile et sont maintenues dans une quarantaine sociale partielle pendant cet examen. Pour répondre à la volonté politique, les préfectures se sont mobilisées en ouvrant leurs portes, là où d'ordinaire les différents téléservices empêchent tout accès immédiat. De même, l'accès à un hébergement a été quasiment immédiat, alors que les demandeurs d'asile doivent attendre plusieurs jours à plusieurs mois avant d'y accéder, quand ils ne sont pas privés de conditions matérielles d'accueil.

Le contraste est saisissant. Les mêmes droits légitimes dont bénéficient les Ukrainiens réfugiés sur notre territoire devraient être accessibles à tous les réfugiés, quelle que soit leur provenance.

La répartition budgétaire continuera à entretenir cette politique inhumaine. Nous ne voterons pas ce budget.

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