L'année 2023 sera la sixième qui verra les crédits de la mission Immigration, asile et intégration augmenter. Ceux-ci s'élèveront à 2 milliards d'euros en crédits de paiement en 2023, soit le double d'il y a cinq ans. Il s'agit d'un effort budgétaire supplémentaire substantiel.
Par rapport à la loi de finances initiale de 2022, les crédits demandés sont en augmentation de 34 % en AP et de près de 6 % en CP.
Le programme 303 Immigration et asile comprend les trois quarts des crédits de la mission. Il finance la politique de l'asile et la lutte contre l'immigration irrégulière.
L'action 02 Garantie de l'exercice du droit d'asile finance notamment l'allocation pour les demandeurs d'asile (ADA). Sa dotation pour 2023 s'élève à 314 millions d'euros, contre 467 millions, soit une diminution – la seule – de 36 % par rapport à la dernière loi de finances. Selon le projet annuel de performance, cette diminution repose sur une projection de 135 000 demandes introduites à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et sur l'hypothèse d'une amélioration des délais de traitement de la demande d'asile, qui devrait mécaniquement réduire les crédits nécessaires à l'ADA. Vous l'avez d'ailleurs évoqué, monsieur le ministre, et je souhaiterais vous entendre plus longuement sur vos hypothèses en la matière et sur la manière dont celles-ci s'articulent avec l'ADA dont bénéficieront les protégés temporaires d'Ukraine.
Pour ce qui est de l'accueil et de l'hébergement des demandeurs d'asile, les crédits demandés en AE sont en hausse de plus de 36 %. Cette augmentation s'explique principalement par le renouvellement pour trois ans de conventions pluriannuelles de l'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile. La dotation pour 2023 permettra de financer 900 nouvelles places en outre-mer, portant la capacité du parc à près de 53 000 places, 1 500 places en centres d'accueil et d'examen des situations et 2 500 places en centres d'accueil pour demandeurs d'asile, soit 4 900 places, tout confondu.
Les crédits relatifs à la lutte contre l'immigration irrégulière connaîtront, eux aussi, une hausse significative de près de 32 % en AE et de 18 % en CP. Ils financeront la poursuite de l'augmentation des capacités d'accueil des centres de rétention administrative (CRA), de 1 859 places en 2022 à 1 961 places en 2023, avec la livraison de 90 places au CRA d'Olivet et l'extension de celui de Perpignan.
L'action Soutien, qui regroupe une partie des moyens nécessaires au fonctionnement courant de la Direction générale des étrangers en France (DGEF), connaîtra également une forte progression, passant de 5,6 millions d'euros en 2022 à 28,5 millions en 2023. Ces crédits sont destinés au développement de nouveaux systèmes d'information. Leur augmentation est telle que nous aimerions en savoir davantage.
Les crédits du programme 104 Intégration et accès à la nationalité française, second de la mission, s'élèvent à 543 millions d'euros en AE et en CP, soit une hausse de 24,3 % par rapport à la loi de finances initiale de 2022.
L'augmentation massive des crédits permettra la poursuite du déploiement du programme d'accompagnement global et individualisé pour les réfugiés (Agir). À terme, son objectif est de proposer à chaque bénéficiaire de la protection internationale un accompagnement, notamment vers le logement et l'emploi.
L'action 16 Accompagnement des foyers de travailleurs migrants connaîtra une augmentation significative de ses crédits, de près de 40 %. Ces moyens supplémentaires permettront de mieux concourir à la mise en œuvre du plan de traitement des foyers et à un meilleur accompagnement de leurs résidents.
Pour ce premier exercice d'avis budgétaire, j'ai choisi de m'intéresser à l'admission exceptionnelle au séjour (AES) et à l'application de la circulaire du 28 novembre 2012, dite circulaire Valls.
Les articles L. 435-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) posent un régime d'admission exceptionnelle au séjour, par lequel des étrangers sans papiers ne remplissant pas les conditions relatives à l'admission au séjour de plein droit peuvent être régularisés. Il permet de répondre à des situations humaines, d'étrangers sans papiers ayant créé des attaches en France ou qui se sont insérés dans le marché du travail. Les critères sont, pour chacun des motifs, nombreux et stricts. Ces régularisations se font au cas par cas, et la circulaire Valls est venue préciser aux préfets les critères permettant d'apprécier les dossiers. Pour mémoire, l'AES concerne environ 30 000 étrangers par an.
Le choix de ce thème a requis que je m'intéresse en premier lieu aux problématiques d'accès aux préfectures. Le public de l'AES fait face à des difficultés en la matière, mais celles-ci s'inscrivent dans un contexte plus large et concernent l'ensemble des étrangers. J'ai, bien sûr, eu le souci de respecter le périmètre de la mission Immigration, asile et intégration pour ne pas déborder sur celui de la mission Administration générale et territoriale de l'État, mais l'accès aux préfectures, essentiel en matière d'AES, ne pouvait échapper à mes travaux.
Celui-ci est marqué par deux réalités liées à la dématérialisation : la prise de rendez-vous auprès des services de l'immigration en passant par des plateformes numériques, d'une part, et la constitution des demandes de titres dématérialisées, d'autre part. Si l'AES n'est, à ce jour, pas concernée par cette seconde démarche, j'en dirai toutefois quelques mots, en particulier s'agissant de l'administration numérique des étrangers en France, l'Anef.
J'ai été interpellée à de très nombreuses reprises sur les difficultés qui résultent du déploiement de l'Anef. De nombreux dysfonctionnements pénalisent au premier chef les usagers, mais créent aussi des surcharges de travail pour les préfectures et leurs agents, ainsi que pour les associations. Ce déploiement représente un immense défi organisationnel pour les services préfectoraux, qui doivent s'adapter à cette évolution. J'ai bien conscience qu'il représente aussi un immense défi technique pour votre administration, monsieur le ministre, et je formule le vœu que ces problèmes soient rapidement surmontés, pour les usagers comme pour l'ensemble des personnes concernées.
La problématique des difficultés de prises de rendez-vous est largement connue et documentée. Elle résulte d'un sous-dimensionnement des effectifs au sein des services concernés et touche l'ensemble des étrangers, mais singulièrement le public de l'AES. Dans certaines préfectures, les étrangers sollicitant une AES ne doivent plus prendre un rendez-vous en ligne, mais faire parvenir un dossier. Ils sont ensuite contactés pour la prise de rendez-vous. J'ai pu constater, pour la déplorer, la longueur des délais d'instruction, même s'ils ont été améliorés. Dans l'une des préfectures étudiées, par exemple, de nombreux dossiers déposés en 2019 n'ont toujours pas été instruits.
Sur ce premier sujet, je formule plusieurs propositions qui dépassent le seul champ de l'AES : assurer un dimensionnement plus adapté des effectifs des services préfectoraux en charge des étrangers ; garantir une voie alternative à la prise de rendez-vous en ligne, comme exigé par le Conseil d'État en juin dernier ; maintenir ouverts des guichets, « gourmands » en effectifs mais indispensables, au sein des préfectures pour les demandes spontanées ; repenser le système d'octroi des rendez-vous pour le sécuriser, l'uniformiser et éventuellement, à terme, réfléchir à des attributions automatiques de rendez-vous calées sur la date d'expiration du précédent titre.
En matière d'AES, les associations qui accompagnent les étrangers jouent un rôle central. La qualité et la régularité des échanges entre les préfectures et ces associations sont essentielles. Je sais que ces relations se sont tendues en plusieurs lieux sur le territoire national et je formule le souhait que des espaces de dialogue s'y recréent.
Comme nombre de mes collègues, je suis régulièrement interpellée par des maires et élus locaux qui accompagnent et soutiennent des familles installées sur leur territoire, qui les connaissent bien, qui savent leur lien avec l'école et la vie locale, et qui sont certainement aptes à évaluer leur intégration dans notre société. J'aimerais qu'une forme de parrainage républicain par ces élus puisse entrer dans les critères d'évaluation d'une demande d'AES.
En second lieu, je me suis intéressée à l'application de la circulaire Valls sur notre territoire. J'indique que le Conseil d'État a précisé, dans une décision de 2015, que l'étranger en situation irrégulière ne pouvait se prévaloir des lignes directrices de cette circulaire devant le juge administratif ; cette analyse a été confirmée vendredi dernier par le Conseil d'État, saisi à nouveau sur ce point.
Les critères de la circulaire Valls, qui entrera bientôt dans sa dixième année, semblent encore faire l'objet d'un certain consensus. C'est dans son application que résident ses limites. Il ressort de mes auditions que la circulaire est très inégalement appliquée sur le territoire. D'après certaines associations, plusieurs préfectures ne l'appliqueraient plus du tout. Parmi celles qui l'appliquent encore, on constate d'importantes différences d'instruction d'une préfecture à l'autre, et parfois même entre agents d'une même préfecture. L'AES relève du pouvoir d'appréciation du préfet et la circulaire contient de simples orientations générales. Il est donc naturel qu'existent des différences de traitement des demandes sur le territoire, mais celles-ci semblent excéder ces écarts acceptables et constituer de véritables inégalités de chance face à la procédure.
Monsieur le ministre, je sais que vos services travaillent à l'identification des pratiques sur le territoire et à leur harmonisation. Je souhaiterais recueillir vos observations et vos intentions sur ce point.
Enfin, mes travaux m'ont conduite à m'appesantir sur la dimension « travail » de l'AES, qui a concerné 7 000 personnes en 2020. Le système est paradoxal, puisque le travail des étrangers en situation irrégulière est interdit, mais que l'exercice de cette activité leur permet in fine, sous certains critères strictement définis, d'obtenir un titre de séjour via l'AES.
Il me semble utile de faire évoluer le dispositif dans deux directions. En premier lieu, le dispositif requiert aujourd'hui que l'employé soit accompagné dans la procédure par son employeur, ce qui exclut injustement du dispositif certains employés ne bénéficiant pas de ce soutien. Monsieur le ministre, vous avez regretté ici même qu'un travailleur sans papiers doive être soutenu par son employeur pour sortir de la clandestinité. « Je pense que c'est un rapport de force qui n'est pas positif pour le salarié », avez-vous dit. Quels sont les projets du Gouvernement en la matière ?
Plus largement, il me semble indispensable de simplifier et de moderniser cette procédure pour embrasser davantage de situations, notamment celles des autoentrepreneurs, pour la rendre plus en phase avec les besoins massifs de main-d'œuvre au sein des secteurs en tension, pour protéger ceux qui seraient susceptibles d'être embauchés par des employeurs peu scrupuleux et abusant de leur situation de vulnérabilité, mais aussi pour protéger les employeurs, très nombreux, qui souhaitent embaucher en toute légalité et rapidement des personnes en attente de titre de séjour.
J'ai remarqué que les amendements déposés ont pour point commun de modifier le seul programme de lutte contre l'immigration irrégulière. À ma gauche, on le déshabille pour créer des places supplémentaires dans les centres provisoires d'hébergement des réfugiés, abonder les actions d'accompagnement, prendre en compte les coûts sociaux de l'inflation ou abonder le budget de l'allocation pour demandeur d'asile. À ma droite, c'est l'exact opposé : on abonde conséquemment ce même programme de lutte contre l'immigration irrégulière, notamment pour augmenter notre parc de CRA.
En me défaisant de toute posture, j'ai mené ma mission avec objectivité et humilité en cherchant l'équilibre, ô combien délicat, insatisfaisant, sinon impossible à trouver, entre l'accueil réel et effectif que nous devons mettre en place pour les femmes, les enfants et les hommes qui arrivent dans notre pays, et la fermeté absolue vis-à-vis de ceux qui, résolument, n'ont aucune intention de s'intégrer dans notre société, dans notre République.
Faire vivre la fraternité de notre devise, d'un côté, protéger notre République et nos valeurs fondamentales, de l'autre, l'un et l'autre ne sont nullement irréconciliables, bien au contraire. Je suis même convaincue que nous pouvons à la fois humaniser encore bien davantage notre politique d'accueil tout en luttant drastiquement contre l'immigration irrégulière. Que ceux que nous accueillons, nous les accueillions vraiment pleinement et que nous agissions avec la même détermination envers ceux que nous refusons.
Un élu me disait hier, à propos de la situation d'une famille étrangère, il faut juste que l'on sache. Le « ni-ni » n'est pas tenable : soit c'est oui, soit c'est non. Au-delà de l'examen des crédits de cette mission, je ne doute pas que la future loi « asile » permettra des avancées.