Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du mardi 18 octobre 2022 à 17h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gérald Darmanin, ministre :

Monsieur le rapporteur Rudigoz, les 1 472 postes de gardiens de la paix, qui constituent le corps d'encadrement et d'application (CEA) de la police nationale, correspondent tous à des créations nettes. Et, monsieur Vicot, elles s'ajoutent aux recrutements qui viennent compenser les départs à la retraite ou les cessations d'activité dans la police nationale. Pour la Métropole lilloise, dont vous êtes élu, ce seront 260 policiers supplémentaires, tous départs confondus. Parmi les grands auteurs que vous avez cités, Martine Aubry a salué, une fois n'est pas coutume, l'action du ministre de l'intérieur en disant que c'est ce qu'elle attendait, même si c'est depuis longtemps.

D'une manière générale, il est difficile pour le ministre de l'intérieur d'évoquer les effectifs par conscription, car il ne peut répartir que ceux qui sortent de l'école. Une fois intégrés, on ne peut pas les forcer à prendre les postes ouverts. Nous entreprenons une réforme parallèle à la réforme de la police nationale, qui n'aura pas de conséquences budgétaires, sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir.

La Lopmi a fait l'objet de nombreuses interpellations, mais je n'entre pas dans le sujet. Il sera largement traité le moment venu et, si la commission m'y invite, je répondrai, comme toujours, à son invitation pour répondre aux questions des parlementaires.

Les assistants d'enquête seront bien issus du personnel administratif, technique et scientifique du ministère de l'intérieur. Il ne s'agit pas de recruter des contractuels ou de créer un nouveau corps de fonctionnaires. Ces personnes appartiennent à la communauté des policiers mais ne sont pas des policiers stricto sensu ; elles ne portent pas d'armes. Grâce à des formations et à des qualifications, elles obtiendront le grade d'assistant d'enquête.

J'en viens aux 200 brigades de gendarmerie.

Dès 2023, 950 effectifs supplémentaires sortis d'école arriveront dans les brigades territoriales de la gendarmerie nationale. Je serai en mesure de créer quatre-vingt-dix à quatre-vingt-quinze brigades de gendarmeries, après accord sur leur implantation et les conditions de leur accueil.

La Guyane recevra quatre nouvelles brigades de gendarmeries. C'est vous-même, monsieur Rimane, avec le président Serville, qui avez demandé à avoir deux brigades fluviales, plus adaptées à la réalité guyanaise. Par nature, donc, elles seront itinérantes.

Le lieu d'installation des brigades n'est pas prédéfini. Le choix sera fait à l'issue de réunions que j'ai demandé à tous les préfets de la République d'organiser. J'ai moi-même lancé une consultation dans le Cher et je ferai de même dans d'autres départements. Les maires et les parlementaires seront conviés à ces réunions pour évoquer, avec les commandants de groupement, la délinquance en zone de gendarmerie dans chaque département, et pointer les difficultés. Il en est sûrement résulté de la suppression de 500 brigades en vingt ans, dont nous devrons tenir compte pour en recréer 200 en cinq ans.

Réimplanter des brigades là où elles ont été supprimées, pourquoi pas, mais il faut aussi prendre en considération les populations qui ont pu évoluer ou les axes routiers qui ont pu être créés. Divers projets, commerciaux, d'infrastructures, agricoles ou autre, sont également susceptibles de voir le jour. Il faut les envisager sur cinq ans, car on crée une brigade pour qu'elle corresponde aux besoins de la population et à la délinquance de demain.

J'ai proposé que les commandants de groupements et les préfets établissent une carte des implantations qu'ils jugeraient utiles, qu'ils soumettront pour réflexion à l'Association des maires et à l'Association des maires ruraux. D'autres réunions seront organisées vers février-mars pour procéder aux restitutions et s'accorder avec les élus sur les lieux d'implantation des brigades. Ceux-ci dépendent aussi des possibilités de les accueillir, qui peuvent prendre la forme aussi bien d'anciennes casernes militaires désaffectées, que de projets de réhabilitation ou de construction, ou de mise en commun avec les polices municipales ou les casernes de pompiers. L'imagination est au pouvoir ! Des crédits sont prévus pour accompagner ces rénovations ou constructions.

On peut imaginer qu'il y ait entre deux et cinq brigades par département : les départements les plus urbains n'ont pas besoin de brigade de gendarmerie, contrairement aux départements ruraux qui en nécessitent davantage.

À la fin, bien évidemment, c'est le ministre de l'intérieur qui signera l'implantation de ces brigades, après consultation des élus. Je suis donc à votre disposition quel que soit votre groupe politique. L'écriture de ces 200 brigades pourrait être terminée vers mars-avril puis il faudra que les militaires et leurs familles s'installent, ce qui supposera un accompagnement social soutenu.

Pour résumer, l'imagination est au pouvoir, les effectifs et les crédits pour l'immobilier sont là. Une consultation est lancée d'aujourd'hui jusqu'en décembre ; la décision du lieu d'implantation sera prise entre janvier et mars-avril. Je suis prêt à revenir devant votre commission pour justifier des implantations.

M. Rudigoz nous a dit le plus grand bien de l'Ofast, qui est une préfiguration de la réforme de la police nationale par le décloisonnement des services et la réunion dans la Cross d'éléments territoriaux et départementaux. Il faut bien comprendre que le point de deal en bas de l'immeuble à Tourcoing est parfois lié à la drogue qui arrive de Colombie ou d'ailleurs par le port du Havre. Ce lien particulier entre la délinquance du quotidien et la grande criminalité fait de l'Ofast un service très intéressant. C'est l'exemple de ce qui fonctionne en interservices et en départemental. D'ailleurs, le président de la commission des lois a pu le constater lors d'un déplacement aux Antilles.

La lutte contre la drogue fonctionne, même si elle est toujours à gagner, toujours à mener. Vous ne pouvez toutefois pas nier, madame Martin, que le nombre de points de deal dans votre département est passé de 374 à 81 – au niveau national, il est passé de 3 952 à 3 245, soit une baisse de 20 %. Certes, ils se récréent parfois. J'aurais été un drôle de maire, au temps où je l'étais, si j'avais répondu aux personnes qui se plaignaient de la saleté de la rue : « À quoi bon la nettoyer, dans deux jours, elle sera de nouveau sale ? ». C'est cela la mission de la police et la gendarmerie nationales, c'est d'intervenir. « Là où il y a de l'homme, il y a de l'hommerie ». Oui, la délinquance revient, et il faut réintervenir.

La sécurité n'est pas n'importe quelle politique publique. Elle est moins structurelle puisqu'elle s'inscrit dans l'urgence, et sans cesse il faut remettre l'ouvrage sur le métier – « La mer, la mer toujours recommencée ! » Personne ne vient à bout de toute forme de délinquance immédiatement et la délinquance n'existe plus seulement dans les rêves.

S'agissant de la sécurité civile, M. le rapporteur Pauget a dressé un certain nombre de constats avec lesquels je pourrais être d'accord. Je me permets toutefois de rectifier la part qu'il a attribué à l'État dans son budget total : certes, il prend en charge 8 % et les Sdis le reste, mais ceux-ci sont financés pour un quart par l'État, à hauteur de 25 milliards d'euros.

Je n'ai pas encore reçu le rapport sur le financement des Sdis que j'ai commandé à l'Inspection. La TSCA est versée aux départements, qui la reversent théoriquement aux Sdis, mais chacun sait qu'elle n'est pas reversée de manière homothétique, selon que les départements, qui doivent aussi assumer des dépenses sociales, disposent ou pas des ressources suffisantes – cela dit sans les critiquer. Je pense que les inspecteurs, qui traitent également d'autres sujets, auront achevé leur travail à la fin du mois d'octobre. Je le communiquerai aux présidents de commission avant sa publication. J'ai reçu une première note de synthèse. Là encore, je suis à votre disposition pour venir discuter des pistes proposées dans ce rapport intéressant.

Serais-je favorable à une niche fiscale ? Je suis un peu gêné pour vous répondre en cette période budgétaire. J'ai été ministre des comptes publics, je sais que, par nature, le titulaire du portefeuille est favorable à des dispositions fiscales supplémentaires. Elles répondent à une cohérence dont on peut toujours discuter. Je reconnais volontiers que le malus écologique sur les véhicules polluants des Sdis, qui n'ont pas d'autre choix que d'utiliser ceux-là, pose une difficulté de compréhension. La mesure a certes un fondement écologique mais il est vrai qu'en l'absence d'avancée dans la conception de ces matériels lourds, elle peut être perçue comme un handicap pour eux.

L'armée ne paie pas la TICPE, certes, mais cela est assez logique : la fiscalité étant versée à l'État, taxer l'armée reviendrait à ce qu'il se taxe lui-même – un système chadokien, en somme. La TICPE a été imaginée dans un souci écologique ; c'est donc un sujet plus vaste que le financement des Sdis. Je suis ouvert à ces questions.

Le Président de la République reçoit les acteurs de la sécurité civile pour réfléchir à l'adaptation du système aux changements climatiques. Cela demandera très certainement des moyens supplémentaires, notamment pour encourager le volontariat des sapeurs-pompiers. La difficulté ne tient pas tant à la quantité de volontaires qu'au nombre de jours qu'ils consacrent au volontariat. La vocation ne se perd pas, ce sont les employeurs, le plus souvent privés mais aussi publics, qui ne mettent pas suffisamment les pompiers à disposition. Au lieu de voir une richesse dans les sapeurs-pompiers, ils y voient sans doute une difficulté de fonctionnement pour leur entreprise ou le service public. Lorsque sont survenus les incendies en Gironde, j'ai dû moi-même appeler les employeurs pour qu'ils libèrent les sapeurs-pompiers volontaires. Ce n'est pas tout à fait normal et peut-être y aurait-il des choses à prévoir dans la loi. Nous aurons sans doute l'occasion de reparler prochainement de la sécurité civile, pourquoi pas en organisant une séance spécifique sur la question.

Madame Agresti-Roubache, il faut en effet former les formateurs, et cela prend un peu de temps. C'est pourquoi nous prévoyons dans la Lopmi la re-création de 252 postes de formateurs supplémentaires pour la gendarmerie nationale et de 447 pour la police nationale, qui va de pair avec les effectifs en formation initiale et continue.

Monsieur Guitton, concentrer les effectifs en début de programmation, c'est ce que nous faisons : sur les 8 500 postes prévus, nous en créons 5 500 en deux ans, et nous re-créons les onze unités de forces mobiles au cours des deux premières années également. Après, la difficulté est de recruter et de former plus de 3 000 personnes, ce qui pour les écoles de police et de gendarmerie sera une prouesse. L'année dernière, nous avons recruté et formé 1 800 personnes directement opérationnelles, et nous allons quasiment doubler la mise deux années de suite. Ce qui demande des écoles de police, des formateurs et du temps, puisque nous avons élargi la formation à douze mois, nous allons le faire, en 2023, sans école de police supplémentaire car nous n'aurions pas le temps d'en construire. Ce sera une grande réussite.

Les 15 milliards de la mission, dites-vous, seraient en fait moindres du fait de la forte inflation. Votre démonstration est fausse. D'abord, le budget du ministère de l'intérieur est aux deux tiers composé de crédits de titre 2 (T2), c'est-à-dire de dépenses de personnel sur lesquelles l'inflation n'a pas de conséquence – le point d'indice est autre chose. Le PLF a été construit sur une hypothèse de 4,7 % d'inflation, conformément aux prévisions de la Banque de France. Si l'inflation peut avoir une incidence, c'est sur les véhicules ou l'immobilier, donc sur un tiers du budget.

Ensuite, espérons que l'inflation ne se situera pas à 6 % ou 7 % pendant cinq ans. D'ailleurs, la Banque de France, que vous avez citée, évoque une inflation de 4 % l'année prochaine et aux alentours de 1 % par la suite. L'hypothèse vous sert, mais l'honnêteté commande de préciser qu'elle se limite à l'année 2023. Donc, sur les 15 milliards, on ne parle que des 3 milliards inscrits la première année, marquée par une inflation forte, dont les deux tiers ne sont pas concernés par l'inflation.

Pour être complet, en 2023, l'inflation représente 210 millions d'euros sur les 8 milliards, hors T2. Je ne pense pas qu'il y ait là de quoi affirmer que « votre fille est muette », pour citer Molière. Votre argumentation est sans doute séduisante politiquement, mais elle n'est pas vraie budgétairement. Il faut s'en réjouir. On peut être en désaccord sur la façon d'utiliser les moyens, mais tout le monde constate les augmentations sans précédent des crédits.

Pour ce qui est du service de sécurité du ministère de l'intérieur, il est totalement indépendant. Il publie les statistiques de la délinquance qui dépendent de l'Insee, sur lesquelles n'avons pas le droit d'intervenir. Je découvre les chiffres de la délinquance quand ils sont publiés par le SSMI. Si un jour, à Dieu ne plaise, vous êtes ministre de l'intérieur, vous découvrirez, comme moi, les chiffres dans le journal – je vois M. Bernacilis qui opine, c'est que cela doit être vrai ! – et vous pourrez les commenter et les interpréter.

Madame Martin, vous avez évoqué la nécessité de formation relative aux violences intrafamiliales. Je n'ai pas pris connaissance de vos amendements, mais tous les policiers et gendarmes reçoivent désormais une formation initiale dès l'école. Ceux que nous devons former sont les personnels qui sont sortis de l'école de police ou de gendarmerie il y a plus de trois ans, quand la formation n'était pas dispensée. Les deux tiers le sont à ce jour, il en reste donc un tiers.

Ce qui manque le plus pour les 400 000 enquêtes sur violences intrafamiliales ouvertes chaque année par la police et la gendarmerie, ce sont les OPJ. Il en manque d'ailleurs partout. Au passage, la Lopmi et la réforme de la police nationale n'emportent aucune baisse des crédits de la police judiciaire et de la délégation à la sécurité routière – je ne sais où vous l'avez lu. En matière de violences intrafamiliales, j'attends et je souhaite de tout cœur la justice spécialisée évoquée par Mme la Première ministre, sur le modèle de l'Espagne. Il s'agirait d'une grande avancée.

Je rejoins en grande partie le constat de M. Vincendet.

Madame Jacquier-Laforge, outre les onze unités de force mobile que nous recréons, nous en libérons sept autres qui tiennent certains sites à Paris – l'Élysée, les ambassades des États-Unis et d'Israël, le ministère de l'intérieur – alors qu'elles ne doivent pas être utilisées pour cela. En tout, nous formerons donc dix-huit unités de force mobile supplémentaires.

À quoi serviront-elles après les JO ? Les unités de force mobile, notamment la gendarmerie mobile, servent beaucoup en outre-mer pour répondre aux difficultés de délinquance – sept escadrons de gendarmerie mobile (EGM) sont actuellement présents en Guyane. Elles contribuent aussi à l'ordre public, en fonction des manifestations. Vingt UFM déployées aux frontières ont permis de réaliser 10 000 procédures de non-admission d'étrangers irréguliers, contre 3 000 il y a encore un an et demi. Il n'y a jamais eu autant de policiers aux frontières.

Enfin, lorsque je pérennise des unités de force mobile auprès des préfets, comme je l'ai fait à Perpignan – ce dont le maire même se félicite dans la presse –, à Marseille ou à Lyon, la délinquance baisse drastiquement, car nous pratiquons la sécabilité, qui consiste patrouiller à deux ou à trois. Maintenant que les CRS et les gendarmes acceptent de le faire, j'utilise les unités de force mobile pour saturer le terrain, grâce à quoi les chiffres de la délinquance baissent fortement dans ces communes.

Avec la gendarmerie verte, l'idée est de former 3 000 gendarmes dans les brigades pour lancer des enquêtes dans le cadre de cellules départementales des atteintes à l'environnement et à la santé publique (Caesp) sur les questions relatives au bruit, aux décharges et aux pollutions de l'eau, par exemple.

Je veux rassurer une nouvelle fois M. Vicot sur le fait que les créations de postes sont bien nettes. Je n'entre pas dans le débat sur la réforme de la police nationale ; je ne partage pas son opinion mais nous aurons l'occasion d'en reparler dans le cadre du débat sur la Lopmi.

Monsieur Lemaire, les créations de brigades de gendarmerie répondront en grande partie au problème d'accueil que vous soulevez. Pour éduquer la population à la sécurité civile, nous allons créer, sur le modèle japonais, une journée dédiée à tous les risques, qu'ils soient naturels, de sécurité civile ou bactériologiques. C'est un point fort de la Lopmi qui a été peu évoqué au Sénat et je vous remercie de votre question.

Madame Regol, oui, les crédits supplémentaires amélioreront le service public de la sécurité, c'est bien pourquoi je les propose. Il me semble que la présence sur la voie publique permet de résoudre un grand nombre de problèmes de sécurité. Certes, ce ne sont pas des policiers dans la rue qui empêchent les violences dans les couples ou dans les foyers, mais ils ont un effet évident sur les violences faites aux personnes.

Le ministère de l'intérieur, les policiers et les gendarmes sont des urgentistes de la situation. Ils ne sont pas ceux qui règlent structurellement le problème de la délinquance d'un pays. J'ai été élu local suffisamment longtemps pour savoir que ce sont l'urbanisme, la politique de peuplement, l'éducation, les inégalités de naissance, une partie de l'immigration non intégrée, les difficultés économiques, la pauvreté qui en sont responsables. Il se trouve que je porte des crédits qui, comme le dit M. Rimane, « font de la répression ». À chacun sa tâche, si l'éducation nationale faisait de la répression et moi de l'éducatif, ce serait sans doute difficile à comprendre.

Je suis d'ailleurs un peu étonné de votre propos, monsieur Rimane. Le président de la commission des lois était là lorsque le président Serville m'a demandé d'autoriser la légitime défense pour les policiers en Guyane – vous ne l'avez pas contrarié. Je vous le dis, je n'accepterai pas la répression à tous crins que vous prônez.

Monsieur Molac, je pense avoir répondu sur les brigades de gendarmerie. Pour ce qui est de la réforme de la police nationale, nous en débattrons dans un autre cadre.

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