Alors que nous nous apprêtons à examiner les 54 milliards d'euros de la mission Investir pour la France de 2030, soit 34 milliards du plan France 2030 et 20 milliards du quatrième programme d'investissements d'avenir (PIA), je garde en mémoire les propos du ministre Bruno Le Maire qui expliquait, pour rejeter nos amendements précédents les uns après les autres, que nous réclamions des sommes exorbitantes alors qu'elles ne dépassaient pas 1 ou 2 milliards. Au moment où les aides à domicile sont payées 682 euros en moyenne, où les passoires énergétiques ruinent la vie et le porte-monnaie des Français, où les pompiers n'ont pas les bons équipements et sont en sous-effectif, où le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit d'amputer l'hôpital de 1 milliard d'euros, est-il bien légitime de verser 34 milliards d'euros pour l'innovation sans garantie de résultat ? L'austérité n'est pas pour tout le monde !
Sur la forme, alors que l'on demande systématiquement des études d'impact et de justifier du coût à l'euro près de chaque amendement, je rappelle que France 2030 a été créé l'année dernière par amendement – un amendement à 34 milliards, le plus cher de la Ve République selon notre collègue Valérie Rabault, sans aucune étude d'impact !
Cela étant, je partage une partie de la philosophie qui a guidé la conception du plan, celle de la planification et de l'interventionnisme de l'État. Un peu de Roosevelt ou de Keynes, tout comme reprendre le contrôle sur la main invisible du marché ne nous fera pas de mal, habitués que nous sommes à la doctrine néolibérale du Gouvernement. Hélas, le secrétaire général pour l'investissement Bruno Bonnell, que nous avons auditionné, aura douché tous nos espoirs : il n'est pas prévu de réfléchir aux usages des technologies financées par France 2030. Et nos échanges avec les opérateurs, le secrétariat général pour l'investissement (SGPI), le Shift Project ou l'observatoire des multinationales ont effectivement confirmé que France 2030 ressemblait plutôt à une liste de courses pour grandes entreprises. Plutôt que d'identifier des objectifs à atteindre, France 2030 laisse le champ libre aux entreprises pour développer de nouvelles technologies rémunératrices, à condition que leurs effets sur l'environnement ne soient pas trop négatifs.
Si ce plan prétend répondre aux grands enjeux, il manque clairement d'une approche systémique. Prenons l'exemple de la voiture électrique : le président Emmanuel Macron répétait il y a peu de temps sa détermination à créer une filière 100 % française. De fait, le plan France 2030 prévoit d'investir pour accélérer la production de batteries et leur recyclage. Une vaste campagne de communication a été lancée autour d'une usine de batteries pour voitures électriques, à Douai. Mais parallèlement, personne ne s'est ému de la fermeture, l'an dernier, des fonderies d'aluminium qui produisaient des pièces indispensables ! On a perdu 280 emplois dans le Poitou, autant à Saint-Claude, 300 à Decazeville et on va dorénavant chercher ces pièces en Espagne et en Turquie ! Le plan France 2030 relocalise une partie de la production considérée comme intéressante, et délocalise ce qui est moins rémunérateur.
Quelle France voulons-nous pour 2030 ? S'agissant d'écologie, alors que le SGPI, derrière le Président de la République, mise tout sur les technologies de rupture, la majorité des Français considèrent que la lutte contre le changement climatique passe par une évolution de nos modes de vie plutôt que par le progrès technique ou les innovations. Hélas, la sobriété est la grande absente de ce plan.
Aucune technologie n'est, en elle-même, écologique. Tout dépend de la manière dont on l'utilise. Définir un plan d'investissement sans réfléchir aux usages qui en seront faits peut avoir de graves conséquences et laisse entrevoir de potentiels « effets rebonds ». Si on décide de doubler le nombre de voitures au prétexte qu'elles seront électriques, on porte atteinte à l'environnement !
Vous prétendez aussi que l'un des enjeux majeurs de France 2030 serait la création d'emplois d'avenir. Pourtant, aucune mesure sérieuse n'y figure. Le SGPI promet un million d'emplois et la Banque publique d'investissement affirme que les critères relatifs aux emplois sont systémiques. Pourtant, le principe de conditionnalité des aides sur la base de ce critère n'est pas toujours appliqué, car il est difficile de tenir compte du contexte macro-économique ou de traiter les cas limites. Le programme va jusqu'à financer de grands groupes qui licencient en parallèle dans d'autres activités, comme Renault, Stellantis, Airbus ou Sanofi.
Enfin, France 2030 est une illustration parfaite de la méthode de travail dont vous usez depuis cinq ans. Ni le Parlement, ni les élus locaux, ni la société civile n'ont été associés à la conception de ce plan qui a été décidé unilatéralement. La plus grande opacité entoure le chiffrage. Aucune concertation n'a été menée et vous n'avez pas joint d'étude d'impact au fameux amendement qui l'a créé. Personne ne semble être aux commandes. Les quatre opérateurs chargés de l'exécution du programme nous ont dit que le secrétaire général pour l'investissement décidait des orientations du plan, mais Bruno Bonnell, lui, nous a expliqué que l'utilisation politique des technologies développées dans le cadre de France 2030 ne faisait pas partie du périmètre du plan.
Pour toutes ces raisons je voterai contre les crédits de la mission.