En 1976, il n'a pas plu d'avril à octobre – j'étais alors enfant mais le souvenir est impérissable dans ma famille comme dans la grande famille paysanne. À l'époque, une telle situation paraissait exceptionnelle. Pour y faire face, deux solutions s'offraient à nous : la compétition ou la coopération. Les paysans de chez nous se sont réunis, ont fait le point au sein de chaque exploitation sur le nombre de bêtes et les besoins : cette démarche s'est traduite par ce qu'on a appelé, dans le langage populaire, la « bataille de la Marne », c'est-à-dire l'acheminement depuis la Lorraine jusqu'à la Champagne-Ardenne de milliers de tonnes de paille qui, une fois réparties, ont permis qu'aucune famille ne sombre dans la misère. Les bêtes ont eu à manger, les familles ont passé l'hiver et le territoire s'en est sorti. L'effort consenti a été immense, mais il a généré une immense fierté.
Désormais, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) estime qu'à l'avenir une année sur deux, parfois deux sur trois, connaîtra une situation identique à celle de 1976 et à celle que nous venons de vivre. Et lorsqu'il ne pleut pas en avril, le prix de la paille augmente dès le mois de mai.
J'ai tiré de mon enfance et de toute une vie d'engagement au sein du monde agricole et rural une leçon : notre force, c'est la solidarité – la solidarité de la profession en son sein et celle de la nation française avec le monde rural et agricole. Il y a un lien entre ces deux solidarités et la solidarité européenne – je le dis à nos collègues assis sur les bancs de l'extrême droite – que nos pères ont construite après la guerre et qui fait la force de notre agriculture aujourd'hui et demain.