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Intervention de Sarah Legrain

Séance en hémicycle du vendredi 28 octobre 2022 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2023 — Culture

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSarah Legrain :

Où est la politique de médiation culturelle alors que 54 % des moyens alloués à l'action Soutien à la démocratisation et à l'éducation artistique et culturelle sont dédiés au pass culture ? Il est vrai que votre projet initial de faire financer un chèque culture à 80 % par les banques et les Gafam n'était pas pour me déplaire. Mais, au final, les opérateurs privés n'assument que 5 % du financement et, à l'inverse, reçoivent à travers ce dispositif une véritable manne, puisqu'il les favorise ! Ce pass culture, largement individuel, conduit à une consommation passive et solitaire, guidée par les algorithmes. Cette vision marchande et consumériste est l'inverse de l'idéal d'éducation artistique et culturelle. Où est la médiation permettant de faire l'expérience de l'altérité, de la surprise esthétique, d'un rapport critique et poétique au monde qui nourrisse notre humanité et notre citoyenneté ? Où est l'accès de toutes et tous à une pratique artistique émancipatrice ?

Où est la politique de soutien à la création culturelle, quand on traite ainsi ceux qui font les arts ? Comment tolérer que nos artistes-auteurs soient toujours privés d'une protection sociale digne de ce nom et de représentation syndicale ? Comment tolérer que la moitié d'entre eux aient un revenu inférieur à 15 800 euros par an et ne bénéficient ni des profits des grands groupes privés ni des politiques publiques de soutien au secteur culturel pensées en silos ? Où est passé ce centre national des artistes-auteurs préconisé par le rapport Racine ?

Plus généralement, la réalité vécue par l'immense majorité des travailleurs et travailleuses de l'art est faite d'isolement, de précarité, d'ultraconcurrence pour survivre, d'injonction constante à déformer son métier pour entrer dans les cases de la bureaucratie néolibérale. Or ce sont ces travailleurs qui construisent notre patrimoine culturel de demain.

En parlant du patrimoine, cher à nombre d'entre vous, comme à moi, où est passée la politique patrimoniale ? Si quelques châteaux du goût de Stéphane Bern ressortent gagnants de ce projet de budget, des institutions comme la Cité de l'architecture et du patrimoine, le Mucem – musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée –, le musée du quai Branly ou encore le centre Georges-Pompidou essuient des pertes, si l'on tient compte de l'inflation. Quant au reste du patrimoine disséminé sur notre territoire, ce n'est pas du côté du budget des collectivités territoriales que l'on trouvera de quoi le sauver. Mais chut… Je n'en dis pas plus, nous avons bien compris que vous ne vouliez pas discuter ici du budget des collectivités territoriales.

Enfin, comment ne pas mentionner l'état d'asphyxie de toutes les petites structures ? Elles anticipent leurs factures et se demandent avec angoisse comment, alors qu'elles peinent déjà à se remettre de la crise sanitaire, elles vont réussir à passer l'hiver. Pourtant, ces lieux de vie et de partage sont essentiels pour des communes voyant fuir leurs forces vives, leurs commerces, leurs emplois. À l'heure où les crises écologique et sanitaire mettent à l'ordre du jour la question de la proximité et du lien social, je cherche en vain votre plan de relocalisation des cinémas, librairies, théâtres et salles de concert. Vous l'aurez compris, aux yeux du groupe LFI – NUPES, ce projet de budget n'est pas celui de l'exception culturelle, ni celui d'une culture jugée essentielle.

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