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Intervention de Philippe Lottiaux

Séance en hémicycle du vendredi 28 octobre 2022 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2023 — Culture

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Lottiaux, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Nous allons quelques instants nous plonger dans l'histoire et la transmission – le beau, le bien et le vrai, eût dit Platon –, mais nous philosopherons autour de crédits et de moyens. Le programme 175 Patrimoines, dont il est ici question, comprend les crédits dédiés aux monuments historiques, aux musées de France, à l'archéologie et aux archives. Ces crédits représentent 1,11 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 1,22 milliard d'euros en crédits de paiement, soit une progression de 7,5 %. De quoi nous réjouir, me direz-vous. Oui et non.

Le secteur du patrimoine a été particulièrement touché par la crise sanitaire : fermetures, restrictions et persistance de l'absence de touristes asiatiques. Disons-le, l'État a été présent, en 2021 et 2022, à travers le plan de relance, si bien que nos institutions patrimoniales ont tenu le choc. Ce plan a représenté un effort inédit de l'ordre de 600 millions d'euros, en sus du programme 175, soit 272 millions en fonctionnement pour faire face aux pertes de recettes, et 349 millions pour des travaux d'entretien ou de rénovation, dont 100 millions pour Villers-Cotterêts et 80 millions pour le plan Cathédrales. À cet égard, je tiens à rendre hommage aux services du ministère de la culture qui se sont mobilisés pour ces opérations nouvelles.

Pour 2023, malheureusement, plus rien de tel. Même si la fréquentation n'a pas forcément retrouvé son niveau de 2019, les chiffres positifs de fréquentation de 2022 illustrent que nos institutions culturelles devraient dans l'ensemble pouvoir faire face, pour leur fonctionnement, avec un budget alloué de 308 millions d'euros de subventions pour charges de service public, tenant compte de la hausse du coût de l'énergie.

En revanche, l'enveloppe de 382 millions d'euros de crédit d'entretien et de restauration des monuments est bien trop faible. En 2019, un état des immeubles inscrits et classés dénombrait plus de 23 % de monuments en péril ou en mauvais état – oui, 23 % –, soit plus de 18 000 immeubles ! Un récent rapport du Sénat alerte sur la dégradation du patrimoine religieux. Quant au patrimoine vernaculaire et non protégé, chaque député a des exemples de sites menaçant ruine dans sa circonscription.

Certes, vous avez créé le fonds incitatif et partenarial (FIP), abondé cette année de 2 millions d'euros, lequel fonds a bien un effet de levier. Certes, au budget précité s'ajoutent 218 millions d'euros de dépenses fiscales, en progression de 33 millions d'euros, dont une grande partie concerne des travaux ou des acquisitions. Certes, l'apport du loto du patrimoine – 90 millions d'euros depuis 2018, qu'il faudra un jour exempter de taxes, même si l'État « remet au pot » ensuite – est très positif. Certes, les actions de la Fondation du patrimoine sont remarquables. Certes, il faut tenir compte des quelque 650 millions d'euros annuels engagés par les collectivités locales.

Pourtant, le compte n'y est pas. Il n'y est pas financièrement pour l'entretien et la restauration ; mais il n'y est pas non plus techniquement, dans l'accompagnement des petites collectivités, souvent démunies face à la spécificité d'un chantier patrimonial. Et il n'y est pas dans deux autres domaines couverts par le programme.

Tout d'abord, si la subvention à l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) est en augmentation de 4,8 millions d'euros, c'est pour faire face à l'inflation et au protocole salarial de l'établissement. En revanche, elle ne permet pas de résorber le stock de diagnostics non réalisés au bout d'un an, qui était de 531 en 2017 et qui est en 2022 de 2 382, bloquant ainsi nombre d'opérations de construction. Ensuite, le compte n'y est pas concernant les crédits d'acquisition, très inférieurs aux besoins, comme le démontre la procédure des « trésors nationaux », où l'apport massif du mécénat est nécessaire pour éviter le départ d'œuvres d'art majeures de notre territoire.

Vous me direz que l'État ne peut pas tout. Je vous le concède. Il serait à tout le moins nécessaire, cependant, que le montant de crédits « hors normes » de 2021 et 2022 pour l'entretien et la restauration devienne la norme. Il conviendrait aussi que les collectivités locales puissent mobiliser de nouvelles ressources, par exemple à travers la modulation de la taxe de séjour. Il conviendrait que des incitations fiscales supplémentaires renforcent les possibilités de travaux dans le patrimoine privé, comme d'enrichissement des collections. Il conviendrait d'encourager les départements à monter une véritable ingénierie pour les petites communes, comme certains ont déjà commencé à le faire. Il conviendrait enfin que les crédits de l'Inrap et des services agréés des collectivités leur permettent de résorber le stock des diagnostics en attente.

Nous avions plusieurs propositions en ce sens dans le cadre de ce projet de loi de finances (PLF) mais l'application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution n'a pas permis l'examen de la plupart d'entre elles. En seconde partie, nous allons en aborder d'autres. Votre prédécesseur, Mme Bachelot, avait évoqué un « mur d'investissements » qui se trouverait devant nous. Ce mur, ce budget ne permet pas de le franchir.

Madame la ministre, le 29 juin 2022, devant la commission sénatoriale de la culture, de l'éducation et de la communication, vous avez déclaré que « la culture peut nous rassembler au-delà des clivages habituels ». J'aimerais en effet que nous le puissions. Mais, à ce stade, nous ne pouvons que regretter que l'effort de ces deux dernières années ne soit pas prolongé. Ce budget n'est pas Waterloo mais il n'est pas non plus Arcole. Je conclurai donc à son rejet, rejet qui est davantage un appel qu'une négation en bloc.

Et quand nous en viendrons à l'examen des amendements, pensons à notre héritage, pensons à la transmission qui nous incombe et n'oublions pas, comme l'écrivait Gérard de Nerval, que « […] comme un œil naissant couvert par ses paupières,/ Un pur esprit s'accroît sous l'écorce des pierres ! »

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