où les détenus sont contraints de dormir sur des matelas posés à même le sol ? Comment le préserver dans un pays dont le système judiciaire est pointé du doigt par la Commission européenne pour l'efficacité de la justice ?
Prenons des chiffres précis : 12 millions de personnes sont touchées par la pauvreté – les territoires ultramarins sont particulièrement concernés, alors qu'ils ne concentrent que 3 % de la population française. Moins d'un Guyanais sur trois n'est pas considéré comme pauvre ! Un facteur aggravant touche spécifiquement les territoires d'outre-mer : l'illettrisme, qui s'y élève à 40 % et qui bloque encore davantage l'accès au droit. L'aide juridictionnelle s'annonce largement sous-dotée car cette réalité socio-économique n'a pas été prise en compte dans le calcul du budget. Pourtant, en toute logique, l'augmentation de la pauvreté entraîne mécaniquement une demande plus importante de cette aide.
Près de 30 000 places de prison ont été construites durant les vingt-cinq dernières années, sans autre effet que d'aggraver encore la surpopulation carcérale. Les condamnations de la France se succèdent, les conditions de détention indignes persistent – « Quelle indignité ! Sur le service public en plus ! », comme dirait Nicolas Sarkozy. D'après les chiffres, l'administration pénitentiaire bénéficie d'une progression budgétaire et d'un accroissement des effectifs, mais dans les faits, ni les postes supplémentaires, ni les fonds supplémentaires ne viendront à bout des problèmes d'heures supplémentaires, de pression hiérarchique, de rythme de travail, en un mot, du mal-être.
La France compte 11 juges pour 100 000 habitants, alors que la moyenne est de 22 en Europe ; 35 greffiers pour 100 000 habitants alors que la moyenne du Conseil de l'Europe s'établit à 56. Le sous-investissement nuit en premier lieu aux délais de traitement, qui atteignent six cent trente-sept jours pour un dossier en première instance dans une procédure civile, contre 237 en moyenne dans le reste de l'Europe. En outre-mer, le problème de maillage territorial est encore accentué. À titre d'exemple, alors que la Guyane a la taille de l'Autriche, son barreau ne compte que 80 avocats.
Alors que la justice est perçue comme éloignée et inefficace, il n'est guère étonnant que, sur les plateaux télé, certains se permettent d'appeler à la « perpétuité directe » ou au « rétablissement du bagne de Cayenne », dans l'affaire dramatique du meurtre de la petite Lola. J'en profite pour rappeler, car cela me semble primordial, que ce genre de propos contribue à stigmatiser les territoires d'outre-mer.
Ce budget ne sera historique que si la France réussit à relever tous les défis qui s'imposent à elle et à diligenter une justice digne, responsable et efficace pour tous nos concitoyens.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez taxé mardi notre collègue de La Réunion, Emeline K/Bidi, d'« indécence » pour avoir mis en exergue les difficultés des professionnels de la justice et les drames qui les accompagnent. Au vu de l'actualité judiciaire qui vous concerne, je trouve cette réaction cocasse.