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Intervention de Stéphane Travert

Réunion du mardi 11 octobre 2022 à 21h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Travert, rapporteur pour avis :

L'agriculture française connaît une année particulièrement compliquée. Entre les conséquences de la guerre en Ukraine sur le prix des matières premières, les épisodes de grêle, de gel puis de sécheresse et l'épidémie d' influenza aviaire, nos campagnes sont en première ligne. Derrière, c'est l'ensemble du pays qui est concerné. Au carrefour des politiques qui façonnent notre pays en matière d'alimentation, d'aménagement du territoire, de ruralité, de transition écologique, de commerce extérieur et de relations internationales, l'agriculture est un secteur stratégique prioritaire, clé de notre souveraineté. Il convient donc de la soutenir en renforçant sa souveraineté, sa résilience ainsi que son adaptation aux transitions environnementales.

Un budget est un acte fondateur qui permet de construire une ambition politique pour tirer l'agriculture vers le haut, par l'innovation, l'investissement et la confiance. Il donne aussi les outils pour résister aux effets parfois délétères de la mondialisation.

Les crédits de la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales me paraissent à la hauteur de nos ambitions et des enjeux – réaliser, notamment, la réforme primordiale de l'assurance récolte votée en février et soutenir les agriculteurs grâce à l'exonération de charges patronales pour l'emploi des travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi agricoles (TODE).

Ces crédits connaissent une augmentation considérable, de l'ordre de 30 %. S'élevant à 3,8 milliards d'euros, ils ne constituent toutefois qu'une partie du soutien apporté par les pouvoirs publics au secteur agricole. Il faut y ajouter plus de 2 milliards pour l'enseignement et la recherche agricole, 126 millions pour le compte d'affectation spéciale Développement agricole et rural (Casdar), 250 millions au titre du plan de relance, qui permettent notamment de financer le plan Protéines, un budget pluriannuel estimé à 2,9 milliards avec France relance, les financements européens ainsi que l'ensemble des dispositifs sociaux et fiscaux, chiffrés respectivement à 9,4 et 8,5 milliards pour 2023. L'effort global est donc massif. Nous pouvons collectivement le reconnaître et nous en féliciter.

Dans le programme 149 Compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, l'élément le plus significatif concerne l'assurance récolte. Les crédits alloués à l'action 22 Gestion des crises et des aléas de la production agricole augmentent de 2 900 %, pour atteindre 264,3 millions. Le Fonds national de gestion des risques en agriculture (Fngra) se voit affecter 255,5 millions, auxquels s'ajoutent 60 millions de recettes supplémentaires, prévues dans la première partie du projet de loi de finances, grâce à l'augmentation du taux de la contribution additionnelle aux primes ou cotisations. Ces montants viennent en complément de l'enveloppe annuelle de crédits du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) pour l'assurance récolte. Le soutien public total atteindra 560 millions en 2023 et 600 millions à partir de 2025. Ces crédits sont essentiels pour la mise en œuvre de la réforme, très attendue sur le terrain, qui vise à améliorer considérablement la diffusion de l'assurance récolte et les conditions d'indemnisation.

La grande majorité des actions du programme 149 sont stables ou en hausse. L'évolution la plus notable concerne l'action 24 Gestion équilibrée et durable des territoires, dont les autorisations d'engagement (AE) sont en hausse de 27,89 %. En effet, les crédits consacrés aux indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) ont augmenté considérablement à la suite de la baisse, de 75 % à 65 %, du taux de cofinancement par le Feader, dans le nouveau cadre de la politique agricole commune (PAC).

Compte tenu des enjeux actuels, le programme 206 Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation est crucial. Son budget augmente de 7,1 % pour atteindre 657,5 millions en AE. Je note la hausse de plus de 18 % des crédits de l'action 02 Santé et protection des animaux, en lien avec le règlement européen 2016/429, dit loi sur la santé animale (LSA), qui implique de renforcer les mesures de prévention et de surveillance.

L'enveloppe du programme 215 Conduite et pilotage des politiques de l'agriculture – 689 millions d'euros en AE et 675 millions en crédits de paiement (CP) – est également en hausse, de 7 %. Une partie de ces crédits sera consacrée à la mise en œuvre de la police unique en charge de la sécurité sanitaire des aliments, désormais exercée par le ministère de l'agriculture, conformément à l'arbitrage rendu par Matignon au mois de mai. L'objectif est de renforcer les contrôles et d'améliorer la visibilité, la réactivité et l'efficacité de cette police. Les moyens en personnels du ministère augmentent, avec 90 nouveaux ETP (équivalents temps plein), parmi lesquels 60 sont transférés de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (Dgccrf).

Un nouveau programme 381 Allégements du coût du travail en agriculture, doté de 427 millions d'euros en AE et en CP, a été créé. Il permet de financer le TODE, qui joue un rôle très important de soutien, puisque 73 000 entreprises, soit la moitié des entreprises employeuses du secteur, bénéficient de ce dispositif. Ces crédits permettent d'assurer, auprès de la Mutualité sociale agricole (MSA) et de l'Unedic, la compensation d'une partie de l'exonération de charges patronales pour l'embauche de travailleurs occasionnels, jusqu'alors financée par le reversement d'une fraction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Le Casdar bénéficie d'une dotation similaire à l'année précédente, de 126 millions. Le Gouvernement indique toutefois que des crédits complémentaires pourraient être ouverts dans le cadre d'une loi de finances rectificative (LFR).

Le PLF pour 2023 est un budget ambitieux, qui traduit notre volonté de soutenir l'agriculture et d'accompagner le monde agricole face aux transitions en cours. Je donnerai donc un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales.

J'en viens à la partie thématique de mon avis budgétaire.

Les services de remplacement constituent un dispositif essentiel pour le monde agricole, incarnant des valeurs de solidarité bien ancrées. Les agriculteurs peuvent adhérer à un groupement d'employeurs assurant un service de remplacement et faire appel à celui-ci lorsque le besoin se matérialise. Un agent de remplacement est alors mis à disposition. Plusieurs dispositifs de soutien viennent en déduction du coût du remplacement pour les agriculteurs.

Les services de remplacement sont bien installés dans le paysage agricole – 320 associations locales sont réparties sur le territoire – et rencontrent un certain succès, en particulier chez les éleveurs, qui représentent 80 % des adhérents. La part des chefs d'exploitation adhérant à un service de remplacement, de 16 %, est en augmentation depuis vingt ans. On compte 15 000 agents de remplacement, qui effectuent annuellement 4,6 millions d'heures de remplacement.

Le succès des services de remplacement est porté par des dispositifs qui visent à réduire le reste à charge de l'agriculteur. Ainsi le reste à charge pour l'aide au répit et les congés maternité est de 0 euro, il est en moyenne de 11 euros pour les congés paternité, de 60 euros en cas de maladie et de 80 euros pour les congés. Le reste à charge varie selon les accords régionaux pour les remplacements liés au développement agricole et à la formation, ainsi qu'à l'exercice d'un mandat syndical.

Les services de remplacement sont un des outils à mobiliser pour répondre aux défis auxquels l'agriculture est confrontée, puisqu'ils permettent d'assurer la continuité des exploitations, de répondre aux aspirations sociales des jeunes générations, d'agir en prévention du mal-être agricole et d'encourager l'installation.

Cependant, les services de remplacement demeurent sous-mobilisés, puisqu'un agriculteur sur cinq seulement est adhérent. Des difficultés structurelles entravent leur développement : les agriculteurs restent parfois frileux en raison du montant du reste à charge et de freins psychologiques ; les agents de remplacement sont trop peu nombreux pour répondre aux besoins ; le réseau est insuffisamment professionnalisé.

Il est donc essentiel d'agir pour développer les services de remplacement. Trois axes sont prioritaires. Il faut, d'abord, faciliter pour les agriculteurs le recours à ces services. Il convient ensuite de rendre le métier d'agent de remplacement plus attractif. Enfin, il faut accroître l'efficacité du réseau.

Plusieurs leviers peuvent être mobilisés pour améliorer le taux de recours aux services de remplacement. Pour commencer, le reste à charge doit être réduit. Nous devons mobiliser plus fortement le crédit d'impôt pour dépenses de remplacement, créé par la loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d'orientation agricole. Le crédit d'impôt s'élève à 50 % des dépenses, dans la limite de 14 jours de remplacement pour congé par an. La loi de finances pour 2022 l'a étendu aux remplacements pour arrêt maladie et accident de travail avec dans ce cas-là un taux applicable du crédit d'impôt qui s'élève à 60 %.

Le crédit d'impôt a remporté un franc succès, puisque le nombre de ses bénéficiaires a doublé entre 2006 et 2018. Régulièrement reconduit, il est en vigueur jusqu'au 31 décembre 2024. Les auditions que j'ai menées m'ont convaincu qu'il est nécessaire d'aller plus loin. J'ai déposé, en première partie du PLF, des amendements que je vous invite à soutenir. Je propose que le crédit d'impôt atteigne 70 % des dépenses lorsqu'il s'agit d'un remplacement lié à un congé maladie ou à un accident du travail, pour mieux soutenir les agriculteurs en cas de coup dur. Je propose aussi que le plafond soit relevé à 28 jours, afin qu'un agriculteur puisse bénéficier du crédit d'impôt pour un arrêt maladie, sans que cela n'empiète sur ses congés annuels. Enfin, pérenniser ce crédit d'impôt apporterait plus de visibilité et constituerait une marque de soutien pour les agriculteurs.

L'aide au répit, financée par la MSA, qui prend en charge le remplacement d'un agriculteur entre 10 et 14 jours, doit être maintenue. Les critères de son attribution, trop variables d'une caisse à l'autre, doivent être harmonisés.

Certaines urgences nécessitent un soutien accru de la part de l'État. Les auditions ont fait état d'une expérimentation très positive menée conjointement par les services départementaux et les services de remplacement de l'Orne. Les éleveurs qui se trouvent en difficulté peuvent être remplacés afin que l'exploitation continue de fonctionner et que le bien-être des animaux soit préservé. Le coût financier est alors pris en charge par les services départementaux. Je propose de généraliser cette expérimentation par un amendement de crédit que je vous présenterai tout à l'heure. L'effort financier est estimé à 735 000 euros. Dans la lignée des travaux de nos collègues sénateurs sur le mal-être dans le monde agricole, j'estime également que le coût d'un remplacement lié au suicide de l'exploitant doit être entièrement pris en charge.

Pour améliorer le taux de recours, il faut aussi mieux communiquer sur l'existence des services de remplacement et des dispositifs permettant de réduire le reste à charge. Cette communication doit être nationale – un plan devrait être lancé par le ministère, en partenariat avec Service de remplacement France (SRF) – mais aussi locale, lors de l'adhésion à un syndicat par exemple.

Il est primordial, pour améliorer les conditions de travail des agents de remplacement, de poursuivre le dialogue social. La convention collective de la production agricole, entrée en vigueur en avril 2021, est une première étape, mais il faudrait envisager un avenant spécifique aux agents de remplacement et se pencher sur la revalorisation des grilles salariales, la priorisation de l'embauche en contrat à durée indéterminée (CDI) et les primes de transport. Une réflexion sur le logement, ainsi qu'un travail partenarial entre les services de remplacement, les chambres d'agriculture et les structures d'hébergement, pourraient être menés.

Il me paraît souhaitable, en complément, de créer une carte professionnelle spécifique. Elle serait un élément de valorisation du métier et permettrait de gagner la confiance des exploitants agricoles.

Dans un contexte où les exigences des agriculteurs vont croissant, il convient de garantir la formation et les compétences des agents de remplacement. SRF met sur pied une nouvelle certification pour remplacer le certificat de qualification professionnelle (CQP) agent de remplacement, qui n'a pas rencontré le succès escompté. Il conviendra de suivre la mise en œuvre de cette certification et de l'évaluer pour s'assurer qu'un équilibre est bien respecté entre la spécialisation des agents de remplacement et leur nécessaire polyvalence.

Par ailleurs, les auditions ont montré qu'il était indispensable d'améliorer le parcours des apprentis en service de remplacement. Il convient de faire évoluer la réglementation en augmentant le nombre d'exploitations, aujourd'hui limité à deux, au sein desquelles un apprenti peut travailler.

Enfin, il est souhaitable de mieux faire connaître le métier et de diversifier les viviers de recrutement. Les relations entre les services de remplacement et les centres de formation agricole doivent se multiplier. Les partenariats avec France Travail doivent se systématiser, pour mieux orienter les demandeurs d'emploi vers les formations adéquates.

Le dernier axe de mon rapport concerne le réseau des services de remplacement, dont il faut renforcer l'efficacité. Si le pilotage du dispositif par les organisations syndicales agricoles est pleinement légitime, l'État doit néanmoins construire une stratégie plus affirmée pour accompagner cet outil, qui pourrait ainsi devenir l'un des fers de lance des politiques de renouvellement des générations et d'installation. Les consultations autour de la future loi d'orientation et d'avenir agricole doivent intégrer cette réflexion.

Le rôle social des services de remplacement doit être pleinement reconnu, ce qui suppose une inscription dans le code rural. En effet, ce ne sont pas des groupements d'employeurs comme les autres ; les banaliser reviendrait à occulter leur utilité et leur savoir-faire en matière d'accompagnement social des adhérents.

Enfin, la démarche de départementalisation et de professionnalisation du réseau doit être poursuivie car elle lui permet de gagner en efficacité. Les personnes que j'ai auditionnées sont plusieurs à considérer que le fonctionnement bénévole, au niveau cantonal, est un frein au développement des services de remplacement. Par ailleurs, ces dynamiques doivent être amorcées dans les départements qui ne possèdent pas encore de service de remplacement – rappelons que, dans les outre-mer, La Réunion est le seul territoire à en abriter un.

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