Je note, en préambule, que si l'on exclut les mesures du plan de relance, les crédits de cette mission se caractérisent par leur stabilité par rapport à 2022. Ce n'est donc pas dans cette mission que se trouvent les dispositifs de soutien exceptionnel aux collectivités pour faire face à la situation que nous connaissons, et que la ministre déléguée a présentés en détail : augmentation de la DGF, maintien du bouclier tarifaire de l'énergie et du filet de sécurité, ou encore création du Fonds vert doté de 2 milliards d'euros.
La partie thématique de mon rapport portera sur la procédure de délivrance des titres d'identité. L'instruction des demandes de titres d'identité – carte nationale d'identité et passeport – et leur production relèvent d'une prérogative régalienne qui s'appuie, pour l'enregistrement des demandes et la délivrance des titres, sur le maillage territorial offert par les mairies et sur les compétences reconnues des communes en matière d'état civil.
Cette procédure touche aux enjeux fondamentaux d'identité, de citoyenneté et de souveraineté, à des perceptions à la fois intimes et collectives qui ont été durement ébranlées par la saturation de la procédure constatée au printemps 2022, situation qui a provoqué des retards déraisonnables et difficilement supportables pour les demandeurs.
Les travaux que j'ai conduits m'ont renforcé dans l'idée que ce n'est pas l'organisation, en tant que telle, de la procédure de délivrance de titres qui a causé cette situation. Elle fait intervenir trois acteurs : les communes, le ministère de l'intérieur et des outre-mer – à travers les centres d'expertise de ressources et des titres (CERT) et l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) – et IN Groupe, anciennement Imprimerie nationale. La Cour des comptes a eu l'occasion en 2020 de faire le bilan de la réforme de la procédure inaugurée en 2017, qu'elle a qualifiée de « réussite globale » – le propos est rare venant de cette institution. Elle permet, en situation normale, de délivrer un titre d'identité en un mois environ, deux tout au plus. Que s'est-il donc passé cette année ?
Une forte augmentation de la demande de titres s'est manifestée dès le début de 2022 par rapport à 2021, bien sûr, mais aussi par rapport à 2019. Elle s'explique principalement par la reprise des déplacements professionnels, scolaires et surtout de tourisme à l'issue de la crise sanitaire. Concrètement, ce sont plus de 8 millions de demandes de titres qui ont été déposées entre le 1er janvier et le 31 août 2022, la demande atteignant ainsi 1 million de titres par mois.
Les communes constituant le premier maillon de la chaîne, c'est à la phase de prise de rendez-vous pour le dépôt des demandes que s'est amorcée l'embolie de la procédure. Dès janvier 2022, le délai moyen a commencé à se dégrader et atteignait déjà 27 jours. En avril, il était passé à 65,6 jours, avant de culminer à 77 jours au début du mois de mai. Par effet domino, la situation s'est ensuite dégradée dans la phase d'instruction par les CERT et pour les chaînes de production d'IN Groupe.
Il ne vous aura, néanmoins, pas échappé que ce sont les communes, seuls interlocuteurs réellement identifiés par la population, qui ont dû le plus souvent répondre à l'exaspération légitime qui s'est exprimée. Face à ce constat, il faut cependant rappeler que les communes n'assument que partiellement une compétence qui relève de l'État, et que la compétence qu'elles exercent pour lui ne fait pas l'objet d'une compensation financière intégrale.
Face à l'ampleur de la crise, le Gouvernement a déployé en mai 2022 un plan d'urgence, prolongé par la mobilisation des communes et d'IN Groupe. Il s'est principalement fondé sur un soutien financier renforcé aux communes, pour permettre une utilisation maximale des dispositifs de recueil (DR) de demandes existants et une accélération du déploiement de nouveaux DR dans les mairies, afin de faire baisser les délais de rendez-vous. 10 millions d'euros ont été débloqués dans le cadre de la LFR pour abonder la DTS versée par l'État aux communes, ce qui a permis une augmentation du réseau de l'ordre de 10 % ; de nouveaux DR continueront d'être déployés d'ici à la fin de l'année.
S'agissant des CERT, près de 250 équivalent temps plein travaillé (ETPT) supplémentaires ont été mobilisés. IN Groupe a de son côté considérablement augmenté ses capacités de production.
Dans nos territoires, la situation n'est pas encore revenue à la normale, mais la décrue est désormais amorcée et s'amplifiera à mesure que les DR se déploieront. Le délai de prise de rendez-vous, qui a diminué de 26 jours, s'établissait encore à 48 jours à la fin du mois de septembre.
Il convient donc de parachever le plan d'urgence mais, surtout, d'anticiper le maintien à un niveau élevé, voire une nouvelle augmentation des demandes de titres. En effet, le ministère de l'intérieur et des outre-mer estime que la demande pourrait atteindre 14 millions de titres par an.
Je souhaite donc vous soumettre un certain nombre de suggestions pour nous tenir prêts et, surtout, pour éviter une nouvelle crise qui, cette fois, serait injustifiable.
Si les communes n'accueillent pas des DR pour l'argent qu'elles en retirent, il convient néanmoins de poursuivre l'effort de convergence entre le coût réel d'un DR et la compensation versée par l'État au titre de la DTS. Dans le prolongement des ambitions du plan d'urgence qui a entendu favoriser une utilisation optimale des DR, il conviendrait de privilégier une augmentation de la part incitative de la DTS, afin que les communes puissent maintenir leur effort au service des administrés dans la durée.
Si les communes doivent rester mobilisées, il en est de même pour l'État avec les CERT. Si l'effort consenti en 2022 ne saurait être négligé, il convient néanmoins qu'il soit poursuivi dans les prochaines années pour faire face à l'augmentation prévisible des demandes de titres.
J'ai aussi été alerté à propos de la multiplication des demandes de rendez-vous non honorés en mairie. Pour limiter les doublons et réduire le gaspillage de créneaux, il convient d'inciter plus fortement les communes, y compris financièrement, à l'installation de logiciels de rendez-vous interopérables permettant d'empêcher de telles pratiques.
Le déploiement des DR mobiles est indispensable, mais reste aujourd'hui trop limité, les communes n'ayant souvent pas la possibilité d'assumer cette charge. Avec les maires, j'estime que c'est à l'État, à travers les préfectures, qu'il revient d'assumer cette mission, en particulier pour nos concitoyens qui ne peuvent pas se déplacer.
Je préconise également d'instaurer une gouvernance souple du maillage territorial du recueil des demandes de titres, sous l'égide du préfet de département et de l'association départementale des maires. Il s'agirait, par exemple, de faire participer au maillage du territoire certaines communes non équipées de DR, ou encore les maisons France Services, notamment pour l'accompagnement des demandeurs dans leur démarche de pré-demande en ligne, qu'il faut continuer d'encourager. Il s'agirait également de renforcer la coordination de l'offre de rendez-vous et d'améliorer la communication auprès du grand public sur les bonnes pratiques à adopter. Il convient de renforcer une telle communication sur le plan national, notamment pour réduire la saisonnalité de la demande de titres. Il est également important de mieux anticiper les échéances nécessitant la production d'un titre.
Je ne doute pas que vous êtes déjà au travail pour préparer le prolongement du plan d'urgence. Pouvez-vous nous indiquer les pistes sur lesquelles travaille le Gouvernement et si un certain nombre de recommandations que j'ai émises pourraient recevoir un accueil favorable ?