Je ne prétends pas que l'agroécologie garantit le maintien des rendements actuels. Mais je souligne, d'une part, que le système conventionnel est voué à voir ses rendements diminuer en raison du changement climatique, des épisodes extrêmes et de l'épuisement des écosystèmes, et, d'autre part, qu'il convient de nuancer les critiques adressées à l'agroécologie concernant les rendements. En effet, ce déficit de rendement pourrait être compensé par une évolution des régimes alimentaires.
Concernant la compétitivité, nous abordons la question sous un angle différent, en partant de la souveraineté alimentaire définie comme réponse aux besoins de la population. L'agroécologie apparaît alors indispensable, faute de quoi nous ne pourrons atteindre cet objectif en raison du manque de résilience et de la fragilisation des écosystèmes. Il convient de nuancer votre affirmation quant à la hausse des coûts de production, donc des prix, car l'agroécologie permet également de réduire le coût des intrants et d'améliorer la résilience, ce qui diminue les coûts de réponse aux crises. En outre, même en cas d'augmentation des coûts de production, il est essentiel de ne pas mettre les agriculteurs sous pression dans une course à la compétitivité. Cette course se ferait au détriment des agriculteurs, de leurs revenus et de leur niveau de vie, ainsi que de leur capacité à investir dans la transition agroécologique.
Si une hausse des coûts conduit les consommateurs à se tourner vers des productions importées, alors nous aurons échoué. Mais cette question se pose différemment selon que l'on raisonne au niveau de l'Union européenne ou du commerce international. Au niveau de l'Union européenne, il est impératif de surmonter cette problématique par un effort puissant visant à faire converger les normes vers le haut afin d'éviter une concurrence inéquitable. Cette démarche permettrait d'assurer la souveraineté alimentaire tout en préservant le bon fonctionnement des écosystèmes à long terme, la qualité de l'eau et la santé, qui sont des conditions essentielles à cette souveraineté. Il s'agit d'un travail de normalisation au niveau européen. Par exemple, le projet de règlement sur l'usage durable des pesticides (SUR) aurait pu harmoniser la concurrence au niveau européen. Son regrettable abandon s'est fait au détriment de la France.
Au niveau européen, il est évident que nous ne décidons pas seuls de l'harmonisation des normes vers le haut. Un autre levier consiste à bien informer les consommateurs français des avantages et de la valeur des productions nationales, ce qui permettrait à ceux d'entre eux qui disposent de plus de moyens pour accéder à cette alimentation de s'y tourner plus spontanément. Cependant, demeure la question des ménages en situation de précarité alimentaire qui, selon une étude du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC), représentent 10 à 15 % de la population. Cette précarité implique de réfléchir à des mécanismes de redistribution. Nous avons déjà envisagé la sécurité sociale de l'alimentation, mais il faut examiner d'autres mécanismes visant à alléger les dépenses contraintes des ménages. Au cours des dernières décennies, la part des dépenses des ménages consacrée à l'alimentation a diminué, tandis que celle dédiée au logement a augmenté. Une réflexion approfondie sur ce sujet s'impose.
En parallèle, il faut déterminer les moyens de soutenir la rémunération des agriculteurs via la puissance publique. Les agriculteurs ne souhaitent pas dépendre des subventions de la Politique agricole commune (PAC), versées de manière aléatoire. Il est essentiel de reconnaître que les agriculteurs rendent un service à la collectivité lorsqu'ils préservent l'environnement, la santé, la qualité de l'eau et la capacité des écosystèmes à produire sur le long terme. Étant donné que ce bénéfice est collectif, il est légitime qu'il soit rémunéré collectivement par la puissance publique. Selon nous, cela peut être réalisé par la PAC, notamment dans le cadre d'une révision du plan stratégique national de la PAC cette année.
La problématique de compétitivité se pose également vis-à-vis des pays hors de l'Union européenne. Il ne semble pas souhaitable de fournir des efforts de transition agroécologique chez nous, au prix d'une augmentation des coûts de production, pour que le consommateur se tourne ensuite vers des produits importés de l'extérieur de l'Union européenne. Une des solutions à cette équation réside dans les mesures miroirs déployées dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Certaines de ces mesures sont déjà mises en place par la Commission européenne, mais d'autres tardent à être instaurées. D'autres encore, qui n'ont pas encore été envisagées, pourraient l'être.
En ce qui concerne les accords de libre-échange, la question est différente. Aucun engagement international ne nous oblige à signer ces accords et à y intégrer le secteur agricole et alimentaire. Il s'agit d'un choix délibéré. Dès lors, il semble nécessaire d'imposer des conditions strictes sur les facilités accordées aux importations de produits agricoles et alimentaires. Nous pensons notamment aux conditionnalités tarifaires ou aux contingentements, ainsi qu'à des accords globalement plus ambitieux en matière de respect des accords de Paris et du cadre mondial sur la biodiversité.