Nos travaux s'appuient sur les expériences professionnelles de nos membres, la lecture de la littérature scientifique, administrative ou associative, ainsi que sur des échanges avec divers acteurs.
Comme je l'ai mentionné dans mon propos liminaire, la souveraineté alimentaire de la France se définit par la capacité à répondre aux besoins alimentaires de la population, en toutes circonstances et dans la durée. Il nous apparaît que le système agricole actuel, majoritairement conventionnel ou intensif, présente une vulnérabilité notable. Cette vulnérabilité découle d'une forte dépendance aux intrants importés, un sujet déjà largement abordé lors des auditions précédentes de cette commission. Le système est également exposé à diverses crises économiques, géopolitiques et climatiques. Ces dernières années, le budget du ministère de l'agriculture consacré à la gestion de crise a été considérable. Ainsi, l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) a estimé que près de 40 % du budget initial du ministère avait été alloué à la gestion des crises au cours de l'année 2022.
Au-delà de cette question de la résilience, il existe un problème de durabilité à long terme, puisque les écosystèmes sont fragilisés par certaines pratiques agricoles. Des études scientifiques rigoureuses mettent en évidence les conséquences de cette fragilité sur la capacité de production des écosystèmes agricoles à long terme. Je fais référence ici à l'expertise collective de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) et de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), publiée en 2023, qui compile des centaines de travaux et résulte du travail de plusieurs dizaines de chercheurs. Les bases de ces études sont donc solides.
Face à cette situation, l'agroécologie se présente comme une alternative. L'agroécologie se caractérise globalement par des pratiques agricoles qui reposent sur le bon fonctionnement des écosystèmes. Elle répond à plusieurs problématiques posées par le système conventionnel, notamment en permettant de réduire la dépendance aux intrants importés en couplant les systèmes d'élevage et de culture, en introduisant davantage de légumineuses dans les rotations ou en protégeant les cultures des ravageurs grâce à la biodiversité et à une organisation différente des paysages agricoles, comme le démontre l'expertise collective de l'INRAE et de l'IFREMER que j'ai citée. En outre, l'agroécologie constitue un facteur d'adaptation au changement climatique en améliorant l'absorption de l'eau dans les sols grâce à l'apport de matières organiques. Pour ces différentes raisons, l'agroécologie est mise en avant comme une solution prometteuse dans divers travaux, par exemple dans un document de prospective produit par l'INRAE, intitulé « Agriculture européenne sans pesticides en 2050 ».
Certes, des critiques existent concernant les rendements de l'agroécologie, comme vous l'avez mentionné, et je suppose que vous faites référence à certaines études produites dans le cadre du Green Deal, qui ont été abondamment discutées au sein de cette commission. Selon nous, ces critiques méritent d'être nuancées.
Premièrement, des expérimentations à grande échelle ont démontré qu'il est possible de réduire significativement l'utilisation de produits phytosanitaires sans compromettre les rendements. Les résultats obtenus à partir du réseau des fermes DEPHY (démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaire) en sont une illustration notable.
Deuxièmement, il est important de considérer que l'agroécologie n'a pas encore atteint ses rendements potentiels. D'une part, elle n'a pas encore bénéficié des travaux de recherche et développement dont a profité le système conventionnel jusqu'à présent. À cet égard, il est nécessaire de renforcer les efforts de recherche et développement pour améliorer les rendements en agroécologie, ce que la puissance publique fait en orientant de plus en plus ses budgets vers cette recherche.
D'autre part, l'agroécologie n'a pas encore atteint ses rendements potentiels en raison de son caractère systémique. Par exemple, la recomposition de l'articulation entre la culture et l'élevage permet de bénéficier des effets de fertilisation. De plus, l'organisation des paysages à l'échelle du territoire contribue à la régulation des ravageurs. Si l'agroécologie n'est mise en œuvre que dans une parcelle ou une exploitation isolée, il est impossible d'en retirer tous les bénéfices. Un certain nombre d'études montrent que l'agroécologie permet une production de biomasse primaire similaire à celle obtenue dans les systèmes actuels. Et s'il existe des variations dans les productions, la diversification des rotations permet de valoriser des cultures moins courantes dans les filières ou dans la consommation. Il est par conséquent crucial de repenser nos filières et de travailler sur la consommation pour valoriser ces productions.
Troisièmement, on ne saurait aborder la question des rendements sans faire droit à celle de la souveraineté alimentaire, en ce que celle-ci implique la satisfaction des besoins. Il est, selon nous, absolument nécessaire de forger une vision d'ensemble du système alimentaire en travaillant également sur les besoins. Ainsi, la consommation de produits animaux et de viande, notamment, doit être réinterrogée et faire l'objet d'un débat démocratique, car cette consommation est actuellement élevée. Des études scientifiques montrent qu'il serait possible de la réduire sans impact négatif sur la santé, ce qui permettrait de diminuer certaines vulnérabilités de la France en termes de souveraineté alimentaire, notamment les importations de viande. Des scénarios montrent qu'en travaillant à la fois sur la transition agroécologique et sur l'évolution des régimes alimentaires, nous serions en mesure d'assurer la satisfaction des besoins alimentaires de la France, mais aussi plus largement de l'Europe et du monde. Je pense notamment aux scénarios Afterres2050 et Ten Years for Agroecology in Europe (TYFA), conçus respectivement par l'association Solagro et l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), qui mettent en évidence la nécessité d'articuler la réflexion sur la production et la consommation.
Je termine en mentionnant deux points que nous pourrons approfondir plus tard. D'abord, l'analyse de l'équation entre production et consommation montre qu'il n'est pas souhaitable que les évolutions conduisent à accroître nos importations de certaines denrées. Ensuite, une baisse de la production dans certains secteurs n'est pas forcément synonyme de baisse du revenu agricole, de dégradation du bien-être collectif ou d'augmentation des coûts de notre système alimentaire.