Je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer sur un sujet d'une importance cruciale pour notre pays : la souveraineté alimentaire de la France. Je veux voir dans cette audition une occasion à la fois de mettre en avant les nombreux engagements, souvent méconnus, de Coopérative U pour la ferme France, d'autant plus à une époque où notre secteur a fait l'objet, souvent à tort selon moi, de nombreuses critiques, et de participer avec vous à la recherche des moyens de mettre un terme à l'érosion de la souveraineté alimentaire, dont certains chiffres nous interpellent et nous inquiètent toutes et tous. C'est votre rôle aujourd'hui, mais c'est aussi notre responsabilité collective. Chaque maillon de la chaîne a une responsabilité et un rôle à jouer : des producteurs aux consommateurs, en passant par les industriels et les distributeurs. Il faut retrouver l'équilibre entre chacun.
La souveraineté alimentaire, différente de l'autosuffisance alimentaire, qui n'aurait pas de sens, est un pilier de l'indépendance nationale et de la sécurité de nos concitoyens. Elle doit garantir non seulement l'accès à des produits alimentaires de qualité, mais aussi le soutien à notre économie et la préservation de notre patrimoine agricole, que le monde entier nous reconnaît.
Je suis le président-directeur général de Système U, devenu tout récemment Coopérative U, coopérative de commerçants indépendants, quatrième acteur de la distribution en France. Cela signifie que nos 1200 associés sont propriétaires du fonds de commerce, des murs le plus souvent, qu'ils détiennent et exploitent en local, dans des villes où ils résident, où souvent ils sont nés ou ancrés. Ils exploitent 1 746 magasins partout en France, aux enseignes Hyper U, Super U, U Express ou Utile, soit une multitude de formats, où travaillent chaque jour 75 000 collaborateurs.
On les appelle des associés, car ils sont unis par des outils communs depuis 130 ans, depuis l'époque où de petits épiciers se sont unis. Ils sont aussi associés dans une gouvernance moderne et démocratique. Ils élisent leurs représentants au sein de quatre conseils d'administration régionaux et les administrateurs nationaux sont élus par les représentants de ces quatre régions. Ils sont aussi associés au pilotage stratégique et opérationnel : chaque associé donne de son temps au collectif, aux côtés de salariés de la coopérative, comme l'est d'ailleurs Philippe Gigleux, chargé de mission qui m'accompagne aujourd'hui.
Je suis moi-même un associé de la coopérative, car j'exploite le Super U de Fessenheim, en Alsace, où je suis chaque fin de semaine. Je suis d'autant plus sensible au sujet de la souveraineté alimentaire française que je l'ai touché du doigt lors de la crise du covid. Étant frontalier, j'ai vu mes collègues allemands et plus largement européens regarder leurs rayons se vider, là où notre tissu productif français a répondu présent malgré les frontières fermées.
L'intérêt de Coopérative U pour la ferme France est évident. Nous vivons à son contact, dans les mêmes territoires. En tant qu'enseigne rurale, puisque nos magasins sont présents à 50 % dans des collectivités de moins de 5 000 habitants, nous sommes aussi particulièrement sensibles à l'agriculture de nos territoires : les agriculteurs sont nos clients, et des territoires dynamiques font des zones de chalandise prospères. En tant qu'acteur principalement français – nous avons quatre-vingts magasins U hors de France, essentiellement en Afrique francophone –, nous croyons à la vitalité de nos terroirs et à ceux qui les font vivre, qui sont in fine nos clients.
En tant que client majeur de l'agriculteur français, notre lien d'engagement avec la ferme France est donc réel et fort. Il se mesure tout d'abord sur les produits à notre marque, La Marque U, dont nous pilotons les cahiers des charges : 100 % du porc, du bœuf et du lait de La Marque U sont français. Nous avons aussi cinquante et une filières engagées pour les produits U avec : une contractualisation tripartite dans la durée, jusqu'à cinq ans ; des volumes contractualisés ; un prix indexé sur les coûts de production. Ces filières regroupent près de 5 000 agriculteurs. Ce n'est pas tout. Les associés ont une totale faculté d'approvisionnement local, qu'ils utilisent à plein : il représente jusqu'à 20 % des ventes dans nos magasins.
Nous sommes un client d'ores et déjà très important des agriculteurs. Les pénuries, les contraintes climatiques, les contextes de marché peuvent conjoncturellement réduire cette part, bien sûr, mais nous prenons l'engagement de la maintenir structurellement et dans la durée voire de l'augmenter. Nous renforçons notre partenariat avec les producteurs français et augmentons la visibilité des produits régionaux dans nos magasins.
Un autre pan auquel je tiens particulièrement est la sensibilisation des consommateurs à l'importance de privilégier l'achat local. C'est pourquoi Coopérative U est l'un des grands mécènes des Journées nationales de l'agriculture, qui ont lieu ces vendredi, samedi et dimanche, et qui ouvrent les portes des fermes, des lieux de production et de nos magasins, où des centaines de producteurs locaux feront déguster leurs produits.
Nous sommes aussi transparents sur l'origine, puisque près de 80 % de nos packagings U affichent l'origine de la matière première principale, y compris, bien sûr, quand elle n'est pas française. Bien souvent, en revanche, nous ne disposons pas de l'origine des produits de nos fournisseurs, pour les grandes marques. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous accueillons très favorablement le projet Origin'Info de la ministre du commerce.
Je veux aussi rappeler que la grande distribution ne représente que 40 % des débouchés de la ferme France. Je suis donc toujours très étonné que l'on s'indigne d'une viande étrangère dans les rayons – ce qui n'est pas le cas chez nous – alors que personne ne remarque que le poulet servi à la cantine de nos enfants ou au restaurant l'est également.
Il ne faut pas oublier que la souveraineté alimentaire a plusieurs jambes : une souveraineté agricole, bien sûr, mais également une souveraineté industrielle. Il doit y avoir 17 000 entreprises de l'industrie agroalimentaire en France. Nous travaillons avec plus de 4 000 d'entre elles. Cela se passe très bien avec l'immense majorité de ces fournisseurs, surtout chez U. Nous sommes la première enseigne pour les produits locaux selon les panélistes. Nous sommes l'enseigne préférée des TPE et des PME – ce n'est pas nous qui le disons, mais leur syndicat, la FEEF (Fédération des entreprises et entrepreneurs de France). Nos produits U sont fabriqués à 77 % par des TPE et des PME françaises : c'est inédit sur le marché. Nous travaillons avec discernement avec les industriels plus modestes. Nous avons un partenariat particulier de longue date avec la FEEF.
Parmi ces 4 000 entreprises, quarante-quatre sont très puissantes. Elles ne sont pas toujours françaises et sont très peu implantées en France ou de manière très partielle au regard de leur production mondiale et de leur distribution en France. Notre préoccupation est de maintenir le tissu industriel français, pour maintenir de la concurrence et éviter l'oligopole des plus gros, qui existe déjà sur certains marchés : le poids cumulé des deux premières grandes marques dépasse 70 % sur de nombreux marchés en GMS (grandes et moyennes surfaces) – papier toilette, couches, lessives, déodorants.
Mondelez, par exemple, est un acteur éminemment international. Ils peuvent dire qu'ils développent des filières de blé françaises, mais la réalité est qu'ils ferment au fil du temps des usines en France. Ce n'est pas parce que nous négocions âprement avec eux, c'est parce qu'ils arbitrent pour produire là où cela leur coûte le moins cher. La réalité, c'est que la législation actuelle, sous couvert de protéger le revenu des agriculteurs, sert parfois d'arme à des multinationales, qui ne s'approvisionnent pas et ne produisent pas en France. Elle ne remplit pas toujours son rôle et ne sauvegarde pas notre souveraineté.
Je veux dire d'emblée un mot sur les centrales d'achat, qui ont cristallisé beaucoup de critiques ces derniers temps. U a rejoint un bureau d'achat européen, Everest, avec des partenaires européens – des coopératives comme nous, Edeka, en Allemagne, ou des entreprises familiales, en Italie, au Portugal, en Pologne –, afin de peser dans les discussions avec les fournisseurs mondiaux. Les géants, dont je vous parlais, qui opèrent dans le monde entier, ont une puissance de marché manifeste, contre laquelle U, avec ses 12 % de parts de marché en France, ne pèse rien. Nous respectons scrupuleusement les principes de la loi Egalim dans ces négociations européennes, même si les contrats sont de droit néerlandais, la structure étant historiquement basée à Amsterdam.
Je m'étonne d'ailleurs qu'Action, l'enseigne préférée des Français, Lidl, Normal et d'autres, qui sont à 100 % européens et négocient donc en dehors de la France, ne soient pas toujours questionnés sur leurs pratiques de négociation. À une époque où le prix est le premier critère de choix, parfois l'unique critère des clients, et où le succès des entreprises qui mettent ce prix au cœur de tout est manifeste, nous nous devons de proposer des produits qui soient accessibles à certains de nos clients. Les contre-exemples de ceux qui n'ont pas suivi cette voie sont terribles.
En conclusion, la souveraineté alimentaire de la France est un défi qui nécessite une mobilisation collective. En tant que distributeurs, nous avons la responsabilité de soutenir les produits locaux et les circuits courts. Chez U, nous sommes prêts à assumer notre part de responsabilité et à intensifier nos efforts pour soutenir une agriculture locale, durable et juste. Je mesure les difficultés de certaines filières et les souffrances exprimées par le monde agricole. Sans doute pouvons-nous faire mieux, faire plus, et nous y travaillons déjà.
Mais nous appelons aussi à un sursaut collectif, car nous faisons déjà beaucoup et nous ne résoudrons pas seuls la crise profonde que le monde agricole traverse. Nous appelons donc à une collaboration renforcée entre pouvoirs publics, agriculteurs et consommateurs pour bâtir ensemble un système alimentaire résilient et souverain.