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Intervention de Pascal Canfin

Réunion du mercredi 5 juin 2024 à 15h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la france

Pascal Canfin, député européen, président de la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen :

Il y a en France un très large consensus politique en faveur des clauses miroirs. Aucun groupe politique à l'Assemblée nationale ni aucune délégation française au Parlement européen ne s'oppose à ce principe. Vous avez raison de souligner que ce n'est pas le cas partout. Pour un certain nombre d'autres pays, ce qui compte est que la marchandise soit vendue le moins cher possible au consommateur : il faut agir en faveur du pouvoir d'achat et de la justice sociale mais, pour le reste, que le meilleur gagne ! Cela encourage chacun à faire des gains de productivité. Certains pays du nord de l'Europe, par exemple, sont absolument convaincus que la concurrence est bonne pour la croissance et, in fine, pour les prix et le pouvoir d'achat : aussi sont-ils opposés aux clauses miroirs. Cette question est inexistante dans le débat politique français mais fait partie du débat politique européen. C'est pourquoi la définition de clauses miroirs est une bataille permanente. Si le point de vue français était spontanément partagé par tout le monde, ces clauses seraient déjà prévues partout !

Le raisonnement des acteurs politiques du nord de l'Europe, qui privilégie les produits les moins chers et les exploitants les plus productifs au bénéfice du pouvoir d'achat et de la compétitivité-prix, est aussi celui d'acteurs économiques qui ont pignon sur rue en France. Ce n'est pas un secret : des acteurs majeurs de la grande distribution et de toute la chaîne agroalimentaire sont défavorables aux clauses miroirs car ces dernières desservent leurs intérêts. Elles les obligent à renoncer à certains achats dans des pays tiers ou à conclure ces transactions à des conditions économiques différentes, précisément pour égaliser les conditions de concurrence avec nos propres agriculteurs. Elles les empêchent de contourner la pratique agricole que nous voulons imposer.

Il faut donc que ce débat ait lieu. Même si nous sommes tous d'accord dans cette salle, nous devons assumer les tensions et la complexité du débat. Si vous introduisez, demain, une clause miroir sur tous les produits agricoles importés, plus aucun poulet ne viendra d'Ukraine. Cela protégera sans doute les agriculteurs français, mais notre élevage national n'est pas dimensionné pour remplacer le poulet ukrainien, brésilien ou thaïlandais : aussi trouverons-nous deux fois moins de poulets dans les rayonnages de la grande distribution et dans les restaurants. Je ne parle pas du poulet de chair, qui est essentiellement français, mais des nuggets et de tous les produits ultratransformés que l'on trouve partout. Les Français, qui sont favorables aux clauses miroirs et à la transition agricole, qui veulent protéger notre souveraineté alimentaire et qui ont soutenu les agriculteurs pendant la crise, sont-ils prêts à accepter cela ? Je pense que non. Aussi devons-nous introduire ces clauses de manière progressive.

C'est exactement ce que nous faisons. Nous avons commencé par des clauses miroirs sur le recours aux antibiotiques de croissance dans l'élevage bovin, sur l'utilisation de néonicotinoïdes dans les cultures de maïs, de blé et de soja, sur la déforestation induite par la culture du cacao et du café… Nous montons en puissance progressivement, en donnant aux acteurs économiques du temps pour s'adapter. Je suis le premier à admettre que les choses ne vont pas assez vite, mais elles vont au moins dans la bonne direction. Les syndicats agricoles sont d'ailleurs nos alliés dans cette bataille.

Les clauses miroirs sont-elles compatibles avec les règles de l'OMC ? Voilà encore une question que l'on nous pose, à nous Français, quelle que soit notre couleur politique. Nous considérons que la réponse est positive, pour deux raisons.

Premièrement, en instaurant une clause miroir, nous n'imposons aucune règle supplémentaire à nos importations : nous disons simplement que les produits interdits chez nous le sont aussi pour ces dernières, dans les mêmes conditions. Si nous interdisions l'usage, pour les importations brésiliennes, d'un néonicotinoïde restant autorisé en Europe, ce serait évidemment du pur protectionnisme incompatible avec les règles de l'OMC. Ce n'est toutefois pas ce que prévoient les clauses miroirs. Nous pensons donc que nous sortirions gagnants d'un éventuel contentieux engagé devant les organes de l'OMC.

Deuxièmement, l'article XX du GATT, l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1947 qui fait office de règlement de l'OMC, prévoit la possibilité de prendre des mesures d'accès au marché, c'est-à-dire de blocage d'un certain nombre de produits aux frontières sur le fondement d'objectifs environnementaux et de santé publique. Nous mettons donc en avant, tout d'abord, les enjeux de santé publique – cela va de soi pour les Européens – mais aussi les défis environnementaux, pour dénoncer les modes de production qui détruisent les écosystèmes, sont incompatibles avec les objectifs relatifs au climat et à la biodiversité que nous nous sommes fixés à l'échelle internationale, et peuvent donc justifier le recours au fameux article XX du GATT qui régit le commerce mondial.

Ainsi, nous avons de bonnes raisons de penser que les clauses miroirs que nous avons déjà adoptées et celles que nous réussirons à faire adopter demain sont compatibles avec l'OMC. Vous avez toutefois raison de souligner que cette critique nous est adressée par ceux qui ne veulent pas de telles clauses.

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