S'agissant de la cohérence, je rappelle que la réforme du marché du carbone, son extension et la création de la taxe carbone aux frontières, et les règlements sur les bornes de recharge, les camions, les bus et les voitures ont fait l'objet d'un paquet intégré qui a été piloté par plusieurs directions générales. Il aurait été impossible, humainement, de faire aboutir quatorze textes en s'appuyant sur une seule direction générale. Un travail collégial a toujours eu lieu et ce serait une erreur de considérer que toute l'agriculture ou tous les sujets agricoles doivent passer par le filtre d'une seule direction générale. Ce n'est pas davantage le cas pour le reste des questions, qu'il s'agisse de la mobilité ou encore de l'industrie. Je vous rejoins, en revanche, en ce qui concerne l'intégration de la direction générale de l'agriculture dans son écosystème. Je ne pense pas qu'il faudrait aller vers une sorte de monopole, parce que cela reviendrait à casser la cohérence d'ensemble, mais il faut une meilleure intégration dans un paquet législatif, réglementaire et financier – il n'y a pas que des aspects normatifs – qui soit cohérent et permette de montrer tout ce qu'on veut faire, avec ensuite des déclinaisons.
Ce qui me frappe beaucoup depuis cinq ans, par ailleurs, c'est de voir que les règles du jeu, européennes et parfois françaises – mais je n'irai pas sur ce terrain –, s'adressent à l'amont agricole, c'est-à-dire aux agriculteurs. Ils sont souvent le maillon économiquement le plus faible dans la chaîne de valeur, par rapport aux coopératives, aux groupes de l'agroalimentaire, aux transformateurs et à la grande distribution, mais toutes les règles que l'on instaure, en matière de pesticides, de bien-être animal ou de restauration des écosystèmes, portent uniquement sur l'amont agricole. C'est le cœur de la défaillance dans la théorie du changement. Si on veut retrouver de la souveraineté en matière agricole et alimentaire, on ne peut pas raisonner seulement sur une toute petite partie de la chaîne agroalimentaire, à savoir la production agricole. Elle ne représente qu'une très faible part de la valeur des produits que l'on consomme tous les jours, en comparaison de la marge des intermédiaires et de la transformation.
Je ne sais pas expliquer pourquoi ArcelorMittal, qui est un très gros sidérurgiste français, ou du moins présent en France, est soumis à des obligations annuelles de réduction de CO2, dans le cadre du marché du carbone alors que Danone, Unilever, Nestlé, Bigard, Bonduelle, LDC ou Lactalis n'ont aucune obligation européenne en matière de bien-être animal, de réduction de l'usage des produits phytosanitaires, de biodiversité et d'impact des nitrates. Tout repose sur le producteur, sur l'amont agricole, ce qui est tout simplement impossible. Quand le producteur, qui doit respecter telle et telle règle, établit ses contrats commerciaux, pour vendre son lait ou ce qu'il a cultivé, l'acheteur lui dit que c'est bien sympa, mais qu'il n'est soumis à aucune règle et que tout cela vaut donc zéro pour lui : éventuellement, dans une logique de RSE (responsabilité sociale des entreprises), parce qu'il est très gentil, il donnera quelque chose, mais de manière volontaire – il n'y est en rien obligé.
Or, je le répète, ce n'est pas possible. Une des choses que je défends personnellement pour la suite, au Parlement européen, après les élections, est la création d'un équivalent du marché du carbone – éventuellement adossé à la question de la biodiversité, parce que ces enjeux sont souvent liés – pour la chaîne de valeur intermédiaire, qui va des grandes coopératives à la grande distribution quand elle vend sous marque propre. Il faut mettre toute la chaîne de la transformation agricole, dont les acteurs sont les clients des agriculteurs – c'est avec eux que ces derniers ont des relations commerciales, à eux qu'ils vendent leur production, à l'issue de négociations très ardues – dans un espace réglementaire, comme on l'a fait pour l'industrie, de sorte que la contrainte pèse sur eux et non sur les agriculteurs.
Une fois que vous aurez instauré un marché du carbone dans l'agroalimentaire, vous aurez créé de la valeur pour la réduction d'une tonne de CO2, en stockant du carbone dans les sols, en changeant la formule d'alimentation des vaches pour réduire les rejets de méthane, en faisant de l'agriculture de précision, bref, en utilisant tous les outils de la palette de solutions qui est à la disposition des agriculteurs. Si vous créez ainsi de la valeur, la conversation sera tout d'un coup très différente : réduire une tonne de CO2 vaudra 60 ou 80 euros, comme dans l'industrie, et il deviendra important pour Danone, Bonduelle, Unilever, Nestlé, LDC, Bigard ou Lactalis de financer la transition agricole, alors que ces acteurs se comportent un peu, aujourd'hui, en passagers clandestins. Ils n'ont aucune obligation sur rien. Certaines entreprises avancent, et même sérieusement, mais de manière totalement volontaire. C'est dans ce cadre que Danone, par exemple, a élaboré un très grand plan pour aller vers la neutralité carbone : s'il est débranché, il ne se passera rien, ce qui est vraiment le cœur du problème.
Il faut transformer la DG Agri – je réponds ainsi à votre question – en DG Agri – Food, c'est-à-dire agriculture et agroalimentaire. Si on ne raisonne pas sur l'ensemble de la chaîne de valeur, y compris la grande distribution, on n'arrivera pas à embarquer suffisamment de monde pour gagner la bataille.