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Intervention de Pascal Canfin

Réunion du mercredi 5 juin 2024 à 15h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la france

Pascal Canfin, député européen, président de la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen :

Merci beaucoup pour cette occasion d'échanger avec vous au sujet d'une question absolument majeure, la souveraineté agricole et alimentaire française, qui s'inscrit évidemment dans le cadre d'une souveraineté européenne.

Il n'existe pas de souveraineté agricole et alimentaire sans agriculteurs, ni d'agriculteurs sans revenus. C'est précisément pour cette raison que le premier budget européen est celui de la Politique agricole commune (PAC). Elle représente 10 milliards d'euros pour la France chaque année et parfois, dans nos territoires, une partie extrêmement significative du revenu net final pour les exploitations. La première façon dont l'Europe contribue à la souveraineté alimentaire et agricole française, c'est en faisant en sorte, avec la PAC, qu'il y ait un revenu pour les agriculteurs.

Par ailleurs, la première menace pour les rendements agricoles, étant entendu qu'il n'existe pas de souveraineté en la matière sans production, donc sans rendements, ce sont désormais les impacts du dérèglement climatique – les agriculteurs le disent eux-mêmes. Au cours des années qui viennent de s'écouler, un événement climatique extrême a eu presque à chaque fois un impact majeur sur les rendements – des gels tardifs, des inondations, comme cet hiver dans les Hauts-de-France, ou des sécheresses prolongées. La fréquence et l'intensité des événements climatiques qui menacent les rendements agricoles augmentent année après année.

Trois chiffres illustrent cette situation. En Espagne, la production d'huile d'olive a baissé de 50 % en trois ans, ce qui signifie qu'il existe un petit problème en matière de rendements, de souveraineté et de revenus. Ce n'est pas le Pacte vert pour l'Europe qui est responsable de la baisse des rendements en Espagne, premier producteur mondial d'huile d'olive, mais la sécheresse, notamment le fait qu'il ne pleut plus en Andalousie. En Italie, qui est de très loin le premier producteur européen de riz, on observe aussi une baisse très significative, de plusieurs dizaines de pourcents au cours des deux dernières années, tout simplement parce qu'il ne pleut plus dans la plaine du Pô. Chez nous, au-delà du cas extrême des Pyrénées-Orientales, les grandes cultures céréalières de la Beauce connaissent un plafonnement et un début de baisse structurelle des rendements agricoles. Quand vous avez des accidents climatiques plus importants et plus fréquents et des rendements qui baissent de manière dramatique, vous avez aussi de l'imprévisibilité, ce qui constitue une menace absolument majeure pour la souveraineté alimentaire. En effet, si on ne peut pas faire un minimum de prévision en matière de rendement et d'investissement pour se projeter dans l'avenir, on désinvestit et on ne reprend pas les exploitations, et c'est la production nationale et européenne qui est dès lors en jeu.

Les travaux que nous avons menés dans le cadre de la politique agricole européenne depuis cinq ans, que ce soit avec la réforme de la PAC ou avec le Pacte vert pour l'Europe, contribuent au contraire, c'est la thèse que je défendrai tout au long de nos échanges, à la préservation de la souveraineté alimentaire française et européenne.

J'en viens à la définition de la souveraineté alimentaire. Pour une très grande partie de l'élevage européen et français – c'est un peu moins vrai en France, notamment pour l'élevage bovin, mais ce que je vais dire s'applique au porc et au poulet –, l'immense majorité de l'alimentation est importée, en particulier sous forme de tourteaux de soja venant d'Amérique du Sud. Est-il souverain d'avoir une alimentation animale qui dépend très largement du Brésil ? S'agissant des cultures, on a besoin d'engrais, c'est-à-dire de phosphates que nous ne produisons pas – ils viennent du Maroc – et de gaz. Celui-ci, jusqu'en février 2022, provenait de Russie. Que les composants des engrais soient marocains et russes ou qu'on remplace le gaz russe par du gaz de schiste américain ou du gaz qatari, nous sommes tout aussi peu souverains. Je pourrais multiplier les exemples montrant que, derrière la notion de souveraineté alimentaire, nous avons des chaînes de valeur qui, certes, produisent en France et en Europe mais qui ne sont pas pour autant souveraines au sens où elles seraient indépendantes ou peu vulnérables à des chocs externes.

Le meilleur exemple, si je puis dire car il est malheureux et dramatique, au cours des dernières années, c'est évidemment le choc ukrainien, qui a montré à quel point les prix de notre propre production étaient dépendants du prix des engrais, lui-même dépendant du prix du gaz. Dès lors, en quoi sommes-nous souverains ? Il faut s'interroger sur ce point en regardant quels sont les modèles agricoles qui sont à la fois les plus productifs – la question des rendements se pose, car il faut produire –, et les moins vulnérables à des chocs externes. La vulnérabilité à un choc externe est l'opposé de la souveraineté.

Par ailleurs, il faut donner aux agriculteurs français et européens l'accès à des solutions alternatives et à de nouvelles technologies dans un contexte marqué, comme je viens de rappeler, par des chaînes de valeur agricoles largement européanisées et mondialisées et par l'impact croissant, et absolument objectivé, des chocs liés au dérèglement climatique. Donner aux agriculteurs de nouveaux outils et davantage de revenu est précisément une des dimensions de l'action que nous menons au niveau européen dans le cadre du Pacte vert. Je ne vous donnerai que deux exemples mais je pourrai revenir sur ces sujets plus en détail.

Nous avons voté, au Parlement européen, pour que les agriculteurs disposent des nouvelles techniques génomiques qui permettent d'accélérer le travail sur les semences sans croiser les espèces entre elles, ce qui nous conduirait au débat relatif aux OGM (organismes génétiquement modifiés). Il s'agit, à l'intérieur d'une espèce, d'accélérer des traits, des caractéristiques qui permettent, par exemple, une meilleure adaptation à des périodes de sécheresse, au changement climatique, pour éviter les baisses de rendement que j'ai évoquées. Cela passe notamment par des éléments technologiques comme les NBT (nouvelles techniques de sélection). Cette question est traitée dans le Pacte vert, dont j'espère, à titre personnel, qu'il finira par être débloqué – il est aujourd'hui, vous le savez, bloqué par la Pologne au sein du Conseil.

Mon deuxième exemple porte sur le carbon farming, qui fait aussi partie du Pacte vert. Il s'agit de donner plus de revenu aux agriculteurs qui stockent du carbone dans les sols, par exemple dans des prairies. Quand vous le faites aujourd'hui, vous êtes payé zéro ou, dans le meilleur des cas, vous avez le label bas-carbone français, qui a permis de créer quelque chose, mais de manière totalement volontaire. Notre objectif est d'aller vers une rémunération systématique des agriculteurs qui stockent le carbone dans le sol des prairies, de façon à augmenter considérablement la rentabilité de ce type d'exploitation. Quand vous avez une prairie et l'élevage associé, dit à l'herbe, vous suivez le modèle le plus souverain et le plus pertinent sur le plan climatique et environnemental, car il évite des importations de tourteaux de soja d'Amazonie. C'est gagnant-gagnant, mais il faut pour cela un modèle économique qui tourne.

Sans entrer dans les détails – je pourrai y revenir si vous le souhaitez –, le texte sur le carbon farming prévoit, au sein du Pacte vert, une grammaire commune à tous les pays européens qui fera en sorte qu'un agriculteur français pourra demain être rémunéré 60 ou 70 euros par tonne de CO2 stocké, contre zéro aujourd'hui ou, dans le meilleur des cas, 20 ou 30 euros, ce qui ne permet pas d'atteindre l'équilibre financier. Ce texte du Pacte vert pour l'Europe va totalement dans le sens de la transition écologique, bien sûr, puisque c'est son ADN, mais aussi de la souveraineté en matière d'élevage et d'une rémunération supplémentaire pour les agriculteurs.

Je voulais rappeler, en introduction, ces réalités parfois absentes du débat, qui a été ultra-simplifié, voire caricaturé lors de la crise agricole quand il a été question du Pacte vert et de ce qu'il y a derrière lui. Je suis absolument à l'aise avec le concept de souveraineté agricole et alimentaire : il n'y a aucune opposition entre la transition agricole, le Pacte vert, la politique agricole commune et la souveraineté alimentaire, qui nous amènent à nous poser un certain nombre de questions pour protéger les rendements, les écosystèmes et le revenu des agriculteurs dans le contexte des échanges internationaux, qui feront l'objet, j'imagine, de questions de votre part. Je ne consacrerai donc pas de développements, dans mon propos liminaire, aux accords commerciaux internationaux, sinon pour souligner que la construction européenne nous a permis de beaucoup avancer ces dernières années au sujet des clauses miroirs.

Quand je suis arrivé au Parlement européen, il y a cinq ans, nous n'avions aucune clause miroir. Il en existe aujourd'hui pour les hormones de croissance, les antibiotiques, la déforestation et les néonicotinoïdes. Est-ce suffisant ? Non : nous sommes en train d'en mettre aussi pour le bien-être animal et d'autres molécules, ce qui va clairement dans la bonne direction. Il faut davantage de concurrence équitable pour nos agriculteurs : c'est une condition à remplir pour des raisons de souveraineté, de justice, d'équité, nous partageons tous cette idée. Encore faut-il passer à l'acte, mais je crois que nous avons commencé à le faire, avec le soutien aussi bien du Parlement européen que du Gouvernement français.

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