La mémoire d'Antoine Riboud demeure très présente dans l'entreprise. Il a insufflé un principe qui nous anime toujours : la performance est indissociable de la responsabilité. Dans son discours de Marseille en 1972, il a clairement exprimé que la responsabilité ne s'arrêtait pas à la porte de l'entreprise et que nous n'avions qu'une seule planète, dont les ressources étaient limitées. Cet état d'esprit explique d'ailleurs la manière dont nous travaillons avec le monde agricole, le caractère de long terme de nos investissements, mais aussi pourquoi une guerre des prix permanente ne nous semble pas être porteuse d'un avenir pour la filière agricole et pour l'humanité en général.
Comme je l'ai indiqué, dès 2010, nous nous sommes engagés avec les associations de producteurs laitiers afin de leur donner une meilleure visibilité de leur activité et de leurs revenus, en prenant en compte leurs coûts. Au fil du temps, nous avons amélioré le dispositif en réduisant les temps de révision des structures de prix, que ce soit en raison de l'inflation, ou de modifications du marché dans le temps, pour continuer à encourager et récompenser une transformation qui allie performance et durabilité, notamment avec des primes. Parmi les industriels, nous sommes un des mieux-disants.
Nous nous sommes très rapidement intéressés au renouvellement des générations d'agriculteurs et d'éleveurs laitiers, les aidant à s'équiper pour agrandir leur exploitation et atteindre des tailles critiques. Il s'agit également de faire en sorte que les nouveaux agriculteurs et éleveurs aient une vie plus en phase avec la société actuelle. Nous accompagnons ces démarches à travers des aides financières aux emprunts de jeunes agriculteurs. Parfois, nous leur procurons un remplacement pour une semaine de vacances.
De manière paradoxale, si nous sommes très visibles en raison de notre marque, nous ne représentons que 3 % des achats laitiers en France, contre 30 % pour le plus gros acteur. En revanche, nous tenons un rôle précurseur pour animer et préparer le futur de cette filière.
Si la France représente 7 % à 8 % du chiffre d'affaires du groupe et 10 % de ses emplois, elle concentre plus de 25 % de ses investissements. Nous continuons à investir dans notre outil de production, comme l'attestent la transformation de notre usine de Villecomtal-sur-Arros ou l'investissement dans notre usine de Steenvoorde. Nous y avons ainsi investi 60 millions d'euros pour une ligne de nutrition médicale extrêmement avancée et 10 millions d'euros pour une chaudière à biomasse. Notre centre de recherche de Saclay, l'un de nos deux centres de recherche mondiaux, constitue un investissement d'extrêmement long terme, mais aussi un investissement dans un écosystème de partenaires, de fournisseurs, de start-up, d'universités.
Vous m'avez également interrogé sur les centrales d'achat européennes, dont la logique centrée uniquement sur le prix crée une spirale qui tire l'ensemble de la filière vers le bas, comme je l'ai déjà dénoncé. À terme, elle aura un impact inéluctable sur notre capacité à investir, mais aussi sur la capacité des agriculteurs à continuer à se transformer, ce qui constitue un autre enjeu de taille.
J'ai passé une large partie de ma vie professionnelle hors de France. Dans un très grand nombre de pays, on essaye d'augmenter le gâteau en rendant l'industrie plus innovatrice, en faisant grandir les gens et en accroissant les marchés, plutôt que de se concentrer sur la manière de partager le gâteau en essayant d'obtenir le prix le plus bas possible. La logique des centrales d'achat multi-distributeurs européens ne me semble pas présager un futur innovant, créateur de valeur et qui prenne soin des agriculteurs.