La question touche plus largement le système de spécialisation. À l'échelle européenne, des débats ont eu lieu pour envisager de charger la France de produire des protéines végétales quand les pays d'Europe centrale auraient produit des protéines animales. Cette vision était inspirée par une conception libérale de l'affectation et l'optimisation des ressources.
Historiquement, la taille des exploitations est d'autant plus grande que les progrès techniques et technologiques obtenus dans le machinisme sont importants. Il y a une quarantaine d'années, un tracteur de soixante-dix chevaux était considéré comme un bon tracteur. Aujourd'hui, le moindre tracteur dispose de deux cents à trois cents chevaux. La logique a été poursuivie : plus votre tracteur est puissant, plus les champs sont importants, plus il est possible de labourer et de retourner le sol pour produire des céréales.
La spécialisation a pour objet d'accroître au maximum la production par produit ou par espèce. Dans le cas du maïs par exemple, les OGM (organismes génétiquement modifiés) sont employés, car les problèmes de plantes et les adventices se développent partir du moment où la production se spécialise. Mais ce processus centré sur le triptyque précédemment évoqué est appauvrissant pour les sols, ce qui nécessite en retour encore plus de produits phytosanitaires ou d'OGM. Je rappelle que certains OGM produisent leurs propres toxines contre les maladies.
À mon avis, ce processus est arrivé au bout de sa logique. Depuis plus de vingt ou trente ans, les rendements n'augmentent plus. L'exploitation réside dans la dégradation de la qualité et la structure des sols, mais également dans le changement climatique. Il existe d'autres manières de produire hors sol, mais il faut être capable d'investir des capitaux énormes pour pouvoir produire des végétaux dans l'agriculture « verticale », comme elle est notamment pratiquée à Singapour dans le maraîchage.
Le processus qui a consisté à utiliser jusqu'au bout et de manière systématique la spécialisation à travers la machine, la chimie et la génétique est arrivé toute façon au bout de la route. Il faut accepter de regarder l'histoire d'un processus technique et technologique et d'essayer de le changer. De tels propos heurtent les agriculteurs et l'écosystème environnant construit pour vendre la génétique, la chimie, des machines agricoles. Je le dis d'autant plus aisément que je ne souhaite pas la fin de ces outils. Au contraire, nous en aurons besoin. Par exemple, si nous développons des stratégies autour des légumineuses et des protéines végétales, nous aurons besoin d'avancées génétiques.
Simplement, le système tel qu'il a été conçu a conduit à l'hyperspécialisation, dont il faut sortir. Il est nécessaire de retrouver de l'espace pour la biodiversité, et je précise que de telles démarches sont productives : la question environnementale a toujours été opposée, à tort, aux enjeux économiques, comme si cela était nécessairement rédhibitoire.