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Intervention de Stéphane Le Foll

Réunion du mercredi 5 juin 2024 à 9h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la france

Stéphane Le Foll, ancien ministre :

Je souhaite d'abord parler de la loi qui a été votée en 2014, lorsque j'étais ministre de l'agriculture. Cette loi constitue une première en termes de choix politiques et stratégiques en matière d'environnement et d'agriculture. Elle mettait en place l'agroécologie. J'ai défendu une conception, j'ai porté un projet politique, mais j'ai été confronté à une absence de volonté de partager ce projet sur l'agroécologie.

Prenons l'exemple des produits phytosanitaires. Lors des débats, je me suis opposé à une partie de la majorité de l'époque qui souhaitait taxer les produits phytosanitaires pour diminuer leur consommation. Les filières subissaient déjà des crises extrêmement importantes qu'il ne convenait pas d'aggraver. Plutôt que de taxer, j'estimais qu'il fallait intégrer dans les modèles de production le fait que demain, nous aurons de moins en moins besoin de produits phytosanitaires. Cela implique notamment d'élaborer des produits alternatifs. Quand il n'en existe pas, comme cela est le cas pour le glyphosate, les agriculteurs sont plongés dans une impasse. Quand un agriculteur est confronté à des adventices en l'absence d'herbicide, il est contraint soit de procéder à un désherbage mécanique, soit d'utiliser un autre herbicide. L'idée consistait plutôt à se passer de la chimie au fur et à mesure.

À cet effet, dans l'agroécologie, j'avais valorisé les couvertures de sol, les rotations et des certificats d'économies de produits phytopharmaceutiques (CEPP). J'avais affiché un objectif de réduction de 30 % des produits phytosanitaires dans un délai de cinq ans. Le pari avait été réussi et il était prévu de tenir un nouveau point d'étape en 2020-2021.

Christian Huyghe, directeur scientifique à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), a joué un rôle important. Son outil avait d'ailleurs été repéré par la Commission européenne, dont une délégation était venue au ministère afin que nous lui présentions notre programme. En l'espèce, il s'agissait de fixer cet objectif de diminution en accordant un certificat à l'utilisation d'alternatives à la chimie. S'il était atteint, l'indicateur NODU – « nombre de doses unités », correspondant à un nombre moyen de traitements appliqués annuellement sur l'ensemble des cultures à l'échelle nationale – n'était pas augmenté.

J'avais transformé la charge potentielle résultant de l'augmentation des taxes sur les produits phytosanitaires en une réussite collective qui permettait de diminuer la consommation de ces produits. L'approche du changement n'était pas punitive. Les cinq années que j'ai passées au ministère de l'agriculture se sont écoulées très rapidement, depuis la négociation de la politique agricole dès 2012-2013, la loi en 2014, jusqu'aux décrets d'application.

S'agissant de la loi de 2016, les questions sont simples. Subissons-nous un problème de réchauffement climatique ? Ce problème de réchauffement climatique se traite-t-il uniquement par le maintien ou le renforcement du modèle tel qu'il a été conçu dans l'après-guerre ? Ce modèle était fondé sur des machines, et donc un besoin intensif de capital pour investir, sur de la chimie et sur de la génétique. Face à ce modèle, la loi que je portais prônait beaucoup plus de nature. Ici, je suis en désaccord fondamental avec le syndicalisme majoritaire et la Coordination rurale : la fonction de production agricole n'est pas une fonction comme les autres. Une entreprise classique se distingue par la production de capital et de travail. En agriculture, le vivant fait partie du capital. Mais ce capital ne s'amortit pas, il s'entretient. Le sol reste le sol : s'il est inondé, s'il subit la sécheresse, il ne produit pas. Ce capital n'est pas comme les autres ; il est exceptionnel, spécifique.

Il a longtemps été conçu comme une contrainte quand nous aurions dû essayer d'utiliser au maximum ce qu'il nous offre. Laissez-moi vous citer un exemple concernant le soleil et la photosynthèse. J'ai cité dans plusieurs de mes livres cette belle phrase de Saint-Exupéry dans Courrier sud, « Qu'elle est invisible à nos yeux, cette course des blés vers le soleil. » La meilleure valorisation de l'énergie solaire est réalisée par la photosynthèse, par les végétaux. Or aujourd'hui cette photosynthèse est gaspillée. Des terrains sont labourés pendant des semaines, parfaitement travaillés, mais ils n'offrent ni brins d'herbe, ni couverture au sol, ni production. Pendant ce temps, le soleil chauffe la terre et fait évaporer l'eau contenue dans le sol. Plus les couvertures de sol sont stratégiquement déployées et coordonnées avec des rotations plus importantes, moins il est nécessaire d'utiliser des produits phytosanitaires, plus le sol contient de matière organique et plus il est possible de retenir l'eau.

En résumé, le capital nature dans la fonction de production agricole doit être repensé.

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