En pleine crise du porc, quand j'étais ministre, le prix du kilogramme était à peine d'un euro. Aujourd'hui, il a doublé. S'agissant du lait, il se vend aujourd'hui 465 euros à 480 euros les 1 000 litres ; mais lorsque j'étais ministre, il se négociait entre 242 euros et 250 euros. À l'époque, l' European Milk Board (EMB) et la coordination rurale demandaient 400 euros.
Je pense donc qu'il ne s'agit pas seulement d'une crise de marché. Selon la loi Egalim, l'augmentation des coûts de production doit se traduire par l'augmentation des prix. Les agriculteurs, et en particulier le syndicat majoritaire, adoptent la position suivante : en période d'inflation, les gens anticipent l'augmentation des prix et acceptent de voir leurs coûts de production augmenter. Au fur et à mesure que la question de l'inflation est devenue la question du pouvoir d'achat, le Gouvernement et la grande distribution se sont saisis du sujet. Je vous renvoie aux déclarations de Michel-Édouard Leclerc, de tous les grands distributeurs et d'une partie du Gouvernement sur la manière de lutter contre l'inflation, en particulier alimentaire. À l'époque, les prix avaient augmenté de 20 %. Au même moment, nous avons connu les premières manifestations d'agriculteurs et les premiers panneaux de signalisation retournés.
L'agriculteur considère normalement que si ses coûts de production augmentent, ses prix de vente doivent suivre la même trajectoire. Mais quand il comprend que la problématique du pouvoir d'achat va entraîner une demande de baisse des prix, il est atteint, rationnellement. S'ajoutent à cela les questions soulevées par les normes environnementales. J'ai discuté avec un des vice-présidents de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), qui m'a confirmé ce point de vue. Il ne s'agit pas d'une crise de marché dans la mesure où les prix ne s'effondrent pas. En revanche, elle est extrêmement profonde car elle vient percuter les logiques des agriculteurs en matière de répercussion des coûts. Ces effets ciseau ont provoqué les mobilisations que nous avons connues, dans un contexte par ailleurs marqué par des épisodes climatiques difficiles – sécheresses, inondations – et l'introduction de nouvelles normes environnementales. À partir d'un moment, un ras-le-bol profond s'est exprimé.
Je parlerai donc plus de crise culturelle que d'une crise de marché. Le message porté par le syndicalisme majoritaire ou la Coordination rurale est le suivant : « Laissez-nous produire. Et nous devons pouvoir vendre à un prix qui nous rémunère. » Les agriculteurs sont des acteurs économiques qui veulent pouvoir vivre de leur travail. Cette crise est profonde précisément parce qu'elle est culturelle et transversale ; elle affecte toutes les filières. C'est pourquoi elle a touché autant de monde et a surgi aussi rapidement ; la cristallisation a été rapide. Les crises de marché sont plus lentes, dictées par des baisses régulières de prix qui ne permettent plus à la filière de tenir à partir d'un certain moment. Elles se terminent fréquemment par des aides. Le rapport entre la faiblesse de l'évolution des prix et l'augmentation des coûts de production a conduit certaines exploitations dans une impasse économique.