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Intervention de Julien Denormandie

Réunion du mercredi 22 mai 2024 à 9h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la france

Julien Denormandie, ancien ministre de l'agriculture :

S'agissant de votre graphique, que je n'ai pas vu mais que j'imagine, le passage du coût à la valeur, ainsi que de la politique économique à la politique sociale, ne peut se faire qu'à la seule condition d'une transparence totale sur l'ensemble des marges de la chaîne de valeur pour éviter toute formation de rente. Je serai toujours de ceux qui batailleront pour cette transparence sur les marges. Vous dites que c'est étrange, car le revenu des agriculteurs décroît alors que le prix de l'agroalimentaire est resté stable, voire a diminué, au cours des vingt dernières années. Pourtant, la guerre des prix est bien réelle. Prenons des exemples concrets. Combien coûtait votre costume il y a vingt ans ? Votre téléphone ? Votre cravate ? Le prix du lait, lui, n'a pas beaucoup changé en vingt ans. La guerre des prix est donc évidente, surtout dans des secteurs extrêmement compétitifs. Certains constateront sur les réseaux sociaux l'augmentation des prix, mais la réalité est que les progrès réalisés dans la chaîne de valeur alimentaire se reflètent peu dans les prix de l'alimentation. C'est difficile à admettre en ce moment, avec l'inflation et de nombreux concitoyens qui souffrent, sautent des repas, notamment les étudiants, mais pas seulement. Ayant été ministre de la ville, j'ai été fortement engagé pour accompagner les plus fragiles. La guerre des prix est évidente, et la stabilisation des prix de l'alimentation n'est pas une bonne nouvelle pour la chaîne agroalimentaire. Il faut avoir le courage de dire que ce n'est pas populaire. Il est mille fois plus simple de prétendre qu'il n'y a pas de problème de prix et de continuer à les presser vers le bas, comme par le passé.

Il faut une transparence totale sur les rentes et sur les marges. Certains abusent, ont abusé et continueront à abuser. Nous devons lutter avec force contre eux, mais il faut aussi avoir le courage de dire ce que je viens de dire et, d'un autre côté, de mettre en place des politiques sociales pour accompagner les plus fragiles d'entre nous. J'en suis absolument convaincu.

Concernant la clause des prix abusivement bas, c'est une clause que nous utilisons beaucoup, notamment par le médiateur des relations commerciales. Ce médiateur, que nous mandatons et changeons régulièrement, intervient souvent dans les négociations commerciales. Combien de fois l'ai-je entendu dire à tel ou tel intervenant que ses pratiques ne respectaient pas les prix qui ne doivent pas être abusivement bas. C'est la raison pour laquelle nous renforçons son rôle, y compris dans la loi Egalim 2, qui lui donne beaucoup plus de pouvoirs qu'il n'en avait jusqu'à présent. Il est parfois difficile pour les plus petits de dénoncer les pratiques des plus grands. C'est là que le médiateur intervient, car il peut s'autosaisir. Cependant, il est parfois compliqué de dénoncer celui qui est votre principal donneur d'ordre, surtout en pleine négociation commerciale. Cela peut être plus facile pour un viticulteur ou une personne à la retraite que pour quelqu'un en activité.

Les pénalités logistiques étaient devenues un sport national, utilisées par certains pour obtenir des réductions supplémentaires de la grande distribution. Aujourd'hui, nous mettons beaucoup de pression sur ces pratiques. C'est un rapport de force, de transparence et d'outils pour combattre ces abus. L'immense avantage de la loi Egalim 2 est qu'elle corrige les problèmes créés par la loi LME, qui avait mis en place une alliance entre la grande distribution et les industriels face aux agriculteurs, emportant de nombreuses conséquences. Mes amis de Bercy ne vont pas aimer ce que je vais dire, mais ayant passé dix ans à Bercy, je sais très bien comment cela fonctionne. Quand la grande distribution et les industriels sont ensemble, le monde agricole est géré par le ministère de l'agriculture. Quand la grande distribution et les industriels s'allient, il devient très simple de faire la théorie du mistigri et de rogner jusqu'à ce que les agriculteurs n'en puissent plus. Certains, notamment dans la production de viande, le constatent très bien. Les prix ont augmenté, et nous nous sommes battus pour que les prix augmentent dans les achats sur les marchés, en parlant du prix acheté par les transformateurs de viande. Le principal d'entre eux a réalisé que nous avions tellement tiré sur la corde que la décapitalisation du cheptel était en cours, mettant en cause sa propre souveraineté.

La LME a consacré l'alliance des plus forts, grande distribution et industriels, face aux agriculteurs. La loi Egalim 2, comme je l'ai toujours dit, est la première étape nécessaire pour inverser le barycentre et unir agriculteurs et industriels face à la grande distribution. Aujourd'hui, quand je vois que les industriels plébiscitent Bercy et une loi Egalim 2 encore plus avancée, je me dis que nous avons bien fait. Agriculteurs et industriels unis face à la grande distribution, ce n'est pas le même rapport de force qu'agriculteurs seuls face à industriels et grande distribution. C'est là l'immense différence entre la LME et la loi Egalim 2.

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