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Intervention de Philippe Mauguin

Réunion du mercredi 22 mai 2024 à 9h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la france

Philippe Mauguin, président-directeur général de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement :

Vous avez mentionné plusieurs exemples, notamment celui de Mme Huc, une chercheuse en toxicologie. Elle mène des travaux utiles pour acquérir des connaissances sur la toxicité et l'écotoxicité des produits. Je ne suis pas l'évaluateur de son travail, mais ses publications sont scientifiquement utiles. L'INRAE suscite parfois des réactions mitigées, car notre mission inclut la nutrition et la toxicologie. Si nous découvrons qu'un additif alimentaire a des effets négatifs, nous le publions, ce qui peut obliger les industriels à modifier leurs formulations, ce qui entraîne des coûts. Les toxicologues de l'INRAE travaillent sur les effets des produits.

Vous évoquez néanmoins la prise de parole citoyenne – que vous qualifiez de militante – des chercheurs dans l'espace public. C'est un sujet de débat. Hier, un colloque du comité d'éthique du CNRS abordait ce thème. En France, la liberté académique permet aux chercheurs de s'exprimer publiquement. On nous demande souvent pourquoi nous ne réprimandons pas les chercheurs qui conseillent de consommer moins de viande. En tant qu'institution, nous nous assurons avant tout qu'ils mènent un travail scientifique de qualité. Nous cherchons à offrir une vision globale et cohérente de l'agriculture française, en explorant les sources de progrès, les risques et les solutions. Cependant, il est impossible de censurer ou d'interdire à un chercheur de s'exprimer sur ses travaux.

Mon rôle de président consiste à remettre en perspective et à relativiser les propos des chercheurs sans les masquer. Les opinions exprimées par des chercheurs, comme Laurence Huc ou d'autres, n'engagent pas l'INRAE.

Nous avons par ailleurs élaboré une charte sur l'expression publique, qui n'est pas contraignante, qui propose des recommandations aux chercheurs lorsqu'ils sont interrogés par les médias. Parfois les chercheurs s'expriment de leur propre initiative, parfois ils sont pris de court par les médias, ce qui peut mener à des explications complexes. Les médias peuvent alors extraire une phrase hors contexte, créant une vague d'incompréhension. La communication est donc extrêmement compliquée et nous n'avons pas encore trouvé la solution idéale pour la maîtriser. Il est crucial que les chercheurs puissent, à partir de leurs publications scientifiques, donner leur point de vue lorsqu'ils sont sollicités par les médias, même sur des sujets controversés comme l'interdiction de certaines molécules. Ni nous, ni le CNRS, ni nos homologues européens ne pouvons imposer une censure sur ces opinions. La question est alors de savoir comment rendre compte à la nation de l'utilisation du budget alloué à la recherche.

L'effort de recherche qui est fourni au sein de l'Institut est important, pour trouver des solutions à partir de divers axes tels que la génétique, l'agronomie ou encore la robotique. Nous essayons d'adopter une approche équilibrée. En tant qu'institution, nous rendons compte du panorama global et de la nécessité de réussir la transition climatique de notre agriculture, car c'est une question de souveraineté. Nous sommes très dépendants, notamment pour les engrais minéraux et pour les produits phytosanitaires provenant de Chine et d'Inde. Si nous parvenons à trouver des solutions pour réduire l'utilisation des produits phytosanitaires dans les dix prochaines années, ce sera bénéfique pour l'environnement, la santé de tous, et cela réduira notre dépendance en termes d'intrants, renforçant ainsi la souveraineté de notre agriculture. Telle est la priorité de l'Institut.

Nous travaillons à identifier les éléments de toxicité et d'écotoxicité. Là où ils existent, nous les signalons, même si cela ne fait pas toujours plaisir. Il est impératif de trouver des solutions pour ne pas laisser les agriculteurs sans alternatives. Le collectif apporte alors une valeur ajoutée.

Un autre exemple que vous avez cité concerne l'agriculture sans pesticides en 2050 en Europe. Cette prospective, engagée avec des instituts de recherche européens, a suscité de nombreux débats. Il est préférable à mon sens de poser les questions plutôt que de les cacher. Le débat existe au niveau de l'Union européenne sur la possibilité d'une agriculture sans pesticides. Notre travail est scientifique. Nous examinons la manière dont la souveraineté agricole de l'Europe pourrait être maintenue en 2050, sans pesticides. En analysant le rapport, on constate que l'objectif est extrêmement complexe à atteindre. Pour y parvenir, il faut mobiliser de nombreux scénarios et conditions. Une des conditions possibles a trait à la réduction de la consommation de viande des Européens au profit de davantage de végétaux, ce qui réduirait le besoin en alimentation animale. Ce sujet est extrêmement polémique, mais il est débattu au sein de la communauté scientifique. Il a le mérite d'être transparent et de montrer la complexité des alternatives. En effet, nul ne peut affirmer que l'objectif est facile à atteindre.

On a souvent entendu des agriculteurs ou des élus estimer que la France faisait cavalier seul sur la question des phytosanitaires, au risque de se retrouver en décalage avec le reste de l'Europe. J'estime qu'il est sain que ce débat ne soit pas uniquement franco-français, mais qu'il devienne européen. Une étude prospective a été réalisée et par la suite débattue.

Concernant le tweet qui a été maladroitement diffusé, puis retiré par notre institut, remettons-le dans son contexte. Il a suscité l'émotion, surtout dans la situation dramatique que traverse notre secteur de l'élevage. Il a entre autres été retiré pour cette raison.

Un doctorant a travaillé avec l'institut Bocuse de Lyon et les grands chefs sur l'évolution des repas de la gastronomie française en termes de durabilité et de réduction des phytosanitaires. Le cahier des charges de ce travail porte un point sur le rééquilibrage entre les protéines végétales et animales. La thèse en question – qui est disponible sur le site internet de l'INRAE – met en exergue que certains chefs s'intéressent à ces sujets. Le tweet a été diffusé le jour de la Saint-Valentin et proposé des informations sur des chefs qui cuisinent en rééquilibrant les protéines animales et végétales. Ce n'était pas le lieu pour l'INRAE de diffuser ce genre de communication. Ce tweet a été perçu comme une invitation de l'INRAE à ne plus consommer de viande. Il a donc été supprimé. En revanche, la recherche est toujours publique sur le site internet, parce qu'elle n'est pas inintéressante.

Néanmoins, si le monde entier consomme autant de viande que les Américains et les Européens en 2050, on ne parviendra pas à nourrir tout le monde. L'ensemble de la recherche mondiale partage cet avis. Pour autant, on a besoin d'élevage et l'agriculture durable en France et dans le monde ne saurait s'en passer. Il faut arrêter de laisser penser que le monde serait parfait sans élevage. L'élevage sert notamment à valoriser toute une série de terres qui ne sont pas propres à avoir de bons rendements en culture. L'élevage ne peut pas partout être remplacé par des cultures.

Nous avons en outre besoin de l'élevage pour maintenir l'équilibre biogéochimique de notre agriculture. Si nous voulons réduire notre dépendance aux engrais minéraux azotés importés, notamment de Russie, nous devons compter sur les matières organiques provenant de l'élevage. L'INRAE, en tant qu'institut, a clairement affirmé que l'élevage est indispensable pour l'avenir. La question cruciale est de savoir quel sera le régime alimentaire futur de la population mondiale, européenne et française. Les nutritionnistes estiment qu'un équilibre idéal serait de 50 % de protéines animales et 50 % de protéines végétales.

Les filières d'élevage françaises ont raison de souligner que réduire la production animale en France, alors que la consommation de viande reste constante, entraînerait une augmentation des importations de viande. Ce point soulève des enjeux de souveraineté alimentaire et je partage l'avis des éleveurs. Il n'est pas logique de réduire unilatéralement le cheptel français pour diminuer l'empreinte carbone de notre consommation alimentaire, si cette réduction conduit à importer davantage de produits animaux. Nous devons adopter une approche pragmatique et offensive pour préserver la souveraineté de l'élevage et des produits animaux français.

À l'échelle internationale, il est en revanche crucial d'atteindre à terme un équilibre entre les protéines végétales et animales, pour éviter des déséquilibres alimentaires. En France, nous sommes très dépendants des importations de tourteaux de soja du Brésil et d'Argentine, ce qui a un impact négatif sur le bilan carbone et contribue à la déforestation de l'Amazonie. Si l'Europe mise sur un élevage de qualité sur nos prairies et herbages, réduit les importations de tourteaux de soja et n'importe pas de viande bovine d'autres continents, nous pourrions atteindre un équilibre bénéfique et potentiellement plus rémunérateur pour nos éleveurs. La planification menée par les pouvoirs publics, en bonne connaissance des intérêts des éleveurs français, vise à développer cette stratégie.

En somme, le tweet précité a finalement donné une mauvaise image, complètement biaisée, d'un institut qui ne voudrait pas travailler pour l'élevage, alors qu'il s'emploie précisément à le défendre.

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