En effet, l'enjeu est majeur pour notre agriculture, mais plus globalement pour l'agriculture européenne et la souveraineté alimentaire de la France et de l'Union européenne.
Prenons l'exemple du mildiou dans la viticulture. Nous travaillons depuis de nombreuses années, depuis l'époque de l'INRA, sur la résistance du mildiou et de l'oïdium, qui sont les grands fléaux de la vigne. Nos chercheurs avaient identifié des gènes de résistance au mildiou et à l'oïdium dans des vignes sauvages non productives, en Asie et en Amérique. Après des années d'introgression, sans recours à la transgenèse mais par des croisements et l'hybridation, ils sont parvenus à intégrer ces gènes de résistance dans les cépages de vignes. Les résultats sur les premières générations de variétés de vignes sont extrêmement positifs, avec une résistance quasi complète au mildiou et à l'oïdium. Celles-ci doivent encore être traitées aux fongicides, mais leur utilisation a été réduite de 90 %. Nous continuons de préconiser une utilisation minimale, car l'arrêt complet des traitements contre le mildiou et l'oïdium peut entraîner l'apparition d'autres maladies. Néanmoins, la baisse est très significative. Il s'agit un exemple de recherche à long terme, qui n'est pas encore achevée.
En revanche, les grands cépages traditionnels ne sont pas tous devenus résistants au mildiou et à l'oïdium. Nous continuons de travailler avec l'Institut français de la vigne pour déployer ces gènes de résistance dans tous les bassins de production, en visant également nos cépages traditionnels. Effectuer une introgression et croiser des cépages résistants avec des cépages traditionnels modifie légèrement la structure génétique du cépage traditionnel. Cependant, il faut que nous nous rapprochions le plus possible de la syrah traditionnelle ou du cabernet sauvignon, du merlot et du gamay. Il s'agit de parvenir à ce que les cépages correspondent à la fois aux attentes des vignerons et des consommateurs et de rendre progressivement l'ensemble de notre viticulture résistante au mildiou et à l'oïdium. Une dizaine d'années de travail est encore nécessaire. Nous ne pouvons pas laisser sans solution les vignerons qui font face à l'oïdium et au mildiou.
Dans ce cadre, il est essentiel de montrer que chacun est de bonne volonté et de déployer des solutions, afin que nous puissions adapter le cadre réglementaire et ne pas interdire des solutions tant que les nouvelles n'arrivent pas. Nous devrons parvenir à analyser chacune de nos grandes filières agricoles, en examinant les molécules utilisées, les problèmes de toxicité et d'écotoxicité qu'elles posent. Il est évident qu'il ne faut pas les cacher. Elles doivent être assumées de façon transparente. Nous devons également étudier les alternatives existantes, soit aujourd'hui mobilisables, soit en cours de développement par la recherche. Nous devrions alors fixer un cadre, une forme de planification intelligente, qui permette de sauver la souveraineté agricole et alimentaire de la France et de l'Europe de façon durable. Nous ne sommes pas dans une logique de confrontation, mais de progrès, avec des solutions existantes. Si une solution existe, qui présente un surcoût de 5 à 10 %, elle vaut la peine que les acteurs se réunissent pour déterminer qui prend en charge ce surcoût, afin que l'agriculteur n'en pâtisse pas. Si les pouvoirs publics portent la volonté forte de sortir de tel ou tel usage, pourquoi ne pas trouver une solution d'accompagnement public ?
La filière prendra-t-elle en charge ces surcoûts ? Dans certains cas concernant la viticulture, si nous pouvions intégrer tous les maillons de la filière, de la coopération au négoce jusqu'au consommateur, le surcoût pesant sur une exploitation représenterait 2, 3 ou 4 centimes par bouteille. Dès lors que la mobilisation visant à réduire l'utilisation d'un produit est collective, nous devons déterminer qui prendra en charge les éventuels surcoûts en résultant. Une part pourrait être supportée par le contribuable, une autre par le consommateur et la dernière par la filière. Ces débats devraient avoir lieu. Sinon, si personne ne veut prendre en charge le surcoût et que seul l'agriculteur le supporte, nous risquons de perdre en souveraineté, car certains exploitants agricoles ne pourront pas s'en sortir, ce qui dégradera notre souveraineté. Nous avons là un véritable sujet.
Il est crucial de bien comprendre les problèmes, notamment les molécules phytosanitaires, et pourquoi elles posent des questions de toxicité ou d'écotoxicité justifiant notre volonté de les éliminer. C'est le cas des CMR (cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques). Les CMR 1 ont quasiment tous été interdits, mais des CMR 2 sont encore utilisés. Quelles solutions alternatives existeraient dans les territoires, si ces substances venaient à être interdites ? Ces solutions, lorsqu'elles existent, engendreraient-elles un surcoût ? Si oui, de combien ? Comment ce surcoût serait-il pris en charge ? Je suis conscient de la complexité de ces questions. Lorsqu'il n'y a pas de solution immédiate mais que des recherches et développements sont en cours, il faut accorder du temps pour éviter des interdictions sans solutions alternatives.