Comme vous l'avez signalé, ce sujet est débattu et a inspiré les recherches de l'Institut. Nous serons attentifs aux débats parlementaires, car ils vont intégrer dans la loi française une définition de la souveraineté alimentaire, que nous adopterons ensuite.
Il est intéressant de se souvenir qu'en 1996, lors d'un sommet sur l'alimentation, des agricultures plutôt paysannes avaient introduit un débat sur la souveraineté alimentaire. À cette époque, dans les débats de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), il était envisagé d'y intégrer l'agriculture dans ses pratiques. Il y avait alors une réelle crainte, justifiée, de nombreux pays, y compris de petits pays du Sud, que cela se traduise par un développement des productions des grands pays agricoles mondiaux et une perte de souveraineté et d'indépendance. Le débat a commencé ainsi, autour du droit des États, des populations et des communautés à maintenir et développer leur propre capacité à produire leur alimentation et à définir leur propre politique alimentaire agricole et territoriale.
Nos chercheurs ont également travaillé sur ce sujet, en insistant sur le fait que ces politiques doivent être écologiquement, socialement, économiquement et culturellement adaptées à chaque spécificité. En tant que président de l'INRAE, mais aussi au nom de la communauté scientifique, je pense que la souveraineté alimentaire doit prendre en compte ce droit et cette sécurité des nations à pouvoir disposer de leur alimentation. Il est évident qu'il n'y a pas de vie sans alimentation. Les crises climatiques successives, les crises géopolitiques et les guerres, comme celle en Ukraine qui a bouleversé les agricultures mondiales, nous rappellent que la capacité à se nourrir n'est pas garantie. La souveraineté alimentaire constitue donc un élément clé pour les nations. La complexité réside dans le périmètre de cette souveraineté. Pour la France, et comme le montre le projet de loi du Gouvernement, il faut prendre en compte l'Union européenne. La dépendance aux importations de denrées agricoles ne rend peut-être pas aussi vulnérable un pays comme la France lorsqu'il commerce avec des pays engagés dans un bloc géographique comme l'Union européenne, comparativement à une dépendance envers d'autres pays. Je citais la Russie – et il serait pertinent d'y revenir – car nous dépendons de ce pays pour les engrais, éléments stratégiques pour l'agriculture française.
La question de la souveraineté alimentaire est complexe : s'agit-il d'une souveraineté totale et maximale pour la France seule ou pour la France au sein de l'Union européenne ? Les deux niveaux sont à considérer. Nous disposons de données chiffrées permettant d'évaluer dans quelle mesure la France est indépendante sur le plan alimentaire, sur quelles filières elle est dépendante, et celles où elle est une source d'exportation intracommunautaire et internationale. La sécurité alimentaire du pays dans un ensemble géographique est un élément crucial. La durabilité est également primordiale. En cherchant à améliorer notre souveraineté alimentaire, il faut le faire de manière durable. Il serait contre-productif d'investir dans des productions ou des filières qui nous permettraient de gagner des parts de marché ou d'augmenter notre indépendance alimentaire si, dans dix ou vingt ans, ces investissements ne sont pas soutenables.
Il est par conséquent important pour l'INRAE de conseiller les pouvoirs publics, les professionnels et les filières sur les conditions agroclimatiques futures dans nos territoires français. Si nous voulons reconquérir des parts de marché sur les fruits et légumes, sur les protéines végétales ou l'alimentation des troupeaux, il est préférable d'anticiper les conditions agroclimatiques de demain pour garantir une durabilité.