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Intervention de Philippe Mauguin

Réunion du mercredi 22 mai 2024 à 9h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la france

Philippe Mauguin, président-directeur général de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement :

La souveraineté alimentaire est un enjeu majeur pour notre pays et pour les peuples du monde. L'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a reconnu la souveraineté alimentaire comme un droit des peuples à maîtriser leur approvisionnement, ce qui montre l'importance de ce sujet débattu par votre commission d'enquête et dans le projet de loi présenté par le Gouvernement.

Je souhaite vous apporter des informations et des diagnostics sur l'état de la souveraineté alimentaire de notre pays, notamment les situations de dépendance aux importations et les filières fragiles en la matière. Je suis à votre disposition pour exposer le point de vue des chercheurs sur les causes de ces dépendances. La recherche est attendue comme un vecteur d'innovations et de solutions pour améliorer l'efficacité de la production agricole et alimentaire française et réduire les sources de dépendance.

Permettez-moi en premier lieu de dire quelques mots sur l'INRAE. C'est une source de fierté pour notre pays de disposer du premier organisme de recherche agricole européen – devant l'université de Wageningen aux Pays-Bas – et du troisième institut de recherche au niveau mondial, derrière la Chine et les États-Unis.

Il me semble essentiel de souligner que nous ne pouvons pas disposer d'une souveraineté agricole et alimentaire durable sans une forme de souveraineté scientifique. Les grands pays du monde, comme la Chine, les États-Unis, le Brésil, ainsi que des pays européens comme l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, ont augmenté leurs investissements dans la recherche agricole ces dix dernières années, montrant qu'ils ont également perçu cet enjeu. Nous restons bien placés dans cette compétition internationale, étant premiers en Europe et troisièmes au niveau mondial. À l'horizon des dix prochaines années, avec les niveaux d'investissement, notamment en Chine, il sera néanmoins difficile de maintenir notre compétitivité.

Tout le monde n'est pas censé connaître l'Institut au-delà de son classement. L'INRAE est un institut de recherche qui a été créé en 2020 par la fusion de deux instituts : l'INRA (Institut national de la recherche agronomique) et l'IRSTEA (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture), un organisme de recherche plus petit issu du CEMAGREF (Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts). Ces deux instituts avaient une longue tradition de recherche et d'innovation dans des domaines complémentaires. L'INRA était reconnu pour ses travaux en génétique végétale et animale, en agronomie, en sciences animales, en sciences du sol, en protection des végétaux, en informatique, ainsi qu'en sciences économiques et sociales. De son côté, le CEMAGREF, devenu IRSTEA, était spécialisé dans l'agriculture digitale, les capteurs, le traitement de l'eau et divers sujets environnementaux. Cette complémentarité a conduit le Gouvernement et les présidents des deux instituts, en 2018, à envisager une fusion pour renforcer leurs capacités.

Il est assez rare de voir des fusions d'organismes de recherche en France et celle-ci a été réussie. L'INRAE a ainsi été créé, au 1er janvier 2020. Cette fusion n'est pas sans lien avec notre sujet, car l'agriculture digitale et numérique est corrélée à la question de la compétitivité de l'agriculture française. Nous sommes meilleurs, ensemble, depuis la création d'INRAE.

Par exemple, en ce qui concerne la réduction des pesticides, l'IRSTEA apportait des compétences sur les pulvérisateurs tandis que l'INRA travaillait sur l'adaptation des plantes. Aujourd'hui, avec un peu plus de 8 000 titulaires et plus de 2 500 contractuels sur ressources propres, l'INRAE couvre l'ensemble des problématiques du secteur agricole et alimentaire. Nos compétences couvrent les thématiques allant des sols à la sélection génétique végétale et animale, en passant par les sciences de l'élevage. Nous couvrons toutes les grandes filières animales et végétales, ainsi que la technologie de transformation des produits. Nos recherches incluent également la production de biomasse, ainsi que les sciences économiques et sociales, les mathématiques, l'informatique et la nutrition.

Notre champ s'étend de la recherche fondamentale, que nous défendons même lorsqu'elle est remise en question, à l'application et l'innovation. Si nous arrêtions la recherche amont, nous perdrions à terme la capacité de produire des innovations. Les recherches fondamentales d'hier nous apportent les solutions d'aujourd'hui et nous allons assez loin dans l'applicatif, le transfert et l'innovation grâce à des unités expérimentales et des fermes pilotes présentes dans toutes les filières, tant végétales qu'animales. Nous disposons de près de 10 000 hectares à travers le pays consacrés à des fermes expérimentales, qui travaillent dans les mêmes conditions que des fermes réelles, mais avec des protocoles expérimentaux et l'appui de nos chercheurs pour tester des solutions.

Nous collaborons étroitement avec les instituts techniques agricoles, ce qui est crucial pour préparer ou accélérer le transfert des innovations. Nos unités mixtes techniques, partagées sur divers centres, regroupent ingénieurs et techniciens des instituts techniques agricoles, ainsi que nos chercheurs, pour être au plus proche des agriculteurs. Nous travaillons également beaucoup avec les chambres d'agriculture sur divers sujets. Les fermes DEPHY (démonstration, expérimentation et production de références sur des systèmes de culture économes en produits phytosanitaires) explorent notamment des alternatives aux pesticides. Ces fermes, gérées par des agriculteurs volontaires, sont suivies par les chambres d'agriculture et l'INRAE. Actuellement, nous collaborons avec les chambres d'agriculture sur des problématiques d'adaptation aux changements climatiques, notamment à travers le projet CLIMAE qui est porté par Chambres d'agriculture France et qui est largement inspiré par les recherches de l'INRAE.

Notre dispositif se déploie sur toute la France, couvrant tous ces sujets, de la recherche amont à l'aval, en passant par le transfert et l'innovation. Nous avons également établi des partenariats avec les universités, les écoles d'agronomie et les écoles vétérinaires. Bien que nous n'ayons pas de mission directe de formation au sein de l'INRAE, nous contribuons à l'enseignement, ce qui permet de former les nouvelles générations de chercheurs et d'agriculteurs et contribuera ainsi à assurer la souveraineté alimentaire de demain.

Nous pourrons vous transmettre le plan stratégique INRAE 2030 qui a été conçu avec notre conseil scientifique et adopté en 2020 grâce à la mobilisation de notre communauté de recherche et les pouvoirs publics. Ce plan livre les grandes lignes de recherche pour les dix prochaines années. Ces lignes directrices sont déclinées de manière plus fine dans tous nos départements scientifiques. Si vous souhaitez connaître nos travaux sur la sélection génétique ou l'agronomie, par exemple, vous pouvez accéder à nos schémas stratégiques quinquennaux, lesquels sont révisés tous les cinq ans. Ce plan nous permet de planifier la recherche et d'intégrer l'interaction entre recherche, innovation et application.

La stratégie d'INRAE s'est traduite par un contrat d'objectifs avec les pouvoirs publics, signé avec Julien Denormandie et Frédérique Vidal, alors ministre de l'Agriculture et ministre de la recherche. Ce contrat nous engage pour cinq ans sur des priorités renforcées.

Nous sommes également très impliqués dans le plan France 2030, annoncé par le Président de la République et piloté par le Gouvernement, qui fixe les grandes priorités technologiques et scientifiques du pays. Concrètement, nous avons proposé, avec nos collègues d'autres organismes de recherche, de lancer de grands programmes de recherche sur les défis technologiques. Nous pilotons ces programmes avec des moyens allant de 30 à 60 millions d'euros, non seulement pour les laboratoires de l'INRAE, mais pour toute la communauté scientifique. Nous dirigeons un programme prioritaire de recherche sur le numérique et l'agroécologie, ainsi qu'un autre sur la sélection variétale, utilisant les nouvelles techniques de sélection pour adapter les cultures aux changements climatiques. Nous pilotons également un grand défi sur le biocontrôle, un autre sur la robotique agricole, et plusieurs grands défis sur l'alimentation. Ces outils permettront, je l'espère, à la recherche française de rester au meilleur niveau international, en étant force de proposition, d'innovation et de solution.

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