J'ai succédé à Mme Aubin en tant que président du Civen, et exercé mes fonctions du 24 février 2015 au 3 février 2017, date à laquelle M. Christnacht m'a remplacé. Durant les années 2015 et 2016, le Civen a poursuivi son travail en suivant l'élan initié par ma prédécesseure, mais sous le nouveau statut juridique d'autorité administrative indépendante, conformément à l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010, dite loi Morin, dans sa version applicable à la date de ma prise de fonction. Ce changement de statut, transformant la commission placée auprès du ministre de la défense en autorité administrative indépendante, a permis au Civen de décider lui-même des suites à donner aux demandes d'indemnisation qui lui étaient soumises, retirant ainsi cette compétence au ministre de la défense. Durant ces deux années, j'ai signé, au nom du Civen, les décisions d'acceptation ou de rejet des demandes d'indemnisation, ainsi que les offres d'indemnisation lorsque les demandes étaient acceptées, en conformité avec les délibérations collégiales du Civen. Dans la pratique, les conséquences de ce changement de statut juridique ont été limitées, car, comme l'a rappelé Mme Aubin, le ministre de la défense suivait systématiquement les recommandations du Civen.
N'étant ni médecin ni spécialiste en physique nucléaire, je m'en remettais à mes collègues plus compétents pour déterminer le sens des décisions à prendre sur les demandes présentées. Chaque décision prise sur chaque dossier a été délibérée de manière collégiale. J'ai eu la chance que sur les huit membres nommés par le décret du 24 février 2015 en tant que membres du Civen, six avaient déjà fait partie du Civen sous la présidence de Mme Aubin. Les deux nouveaux membres étaient également, comme la plupart de leurs collègues, des professeurs de médecine. L'un avait été choisi pour sa compétence en épidémiologie, l'autre désigné sur proposition des associations représentatives des victimes des essais nucléaires, après avis conforme du Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Malheureusement, le professeur spécialiste en épidémiologie a rapidement cessé de participer aux séances du Civen, car il jugeait ses autres activités trop prenantes. Malgré de multiples démarches auprès du HCSP, je n'ai jamais réussi à obtenir la nomination d'un autre épidémiologiste pour siéger au Civen.
Le décret du 15 septembre 2014, qui est le décret d'application de la loi Morin, dans sa version applicable pendant ma présidence, prévoit dans son article 13 que le Comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler ses décisions, en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'AIEA. Ma première préoccupation a donc été de vérifier auprès de mes collègues membres du Civen s'ils estimaient que le comité, devenu autorité administrative indépendante, devait se doter d'une nouvelle méthodologie, ou bien s'il devait continuer à appliquer celle adoptée antérieurement. Nous avons débattu de cette question lors de l'une des premières séances sous ma présidence. Il en est ressorti qu'il n'était pas nécessaire de modifier la méthodologie en vigueur, le statut juridique du comité n'ayant pas d'incidence sur cet aspect de sa mission. Toutefois, un travail de réécriture a été engagé pour rendre le texte de cette méthodologie aussi explicite et compréhensible que possible pour un non-spécialiste. Une fois ce travail réalisé, le texte a été adopté à l'unanimité lors de la séance du Civen du 11 mai 2015 et a été immédiatement rendu accessible au public sur le site internet du comité.
Au cœur de cette méthodologie se trouve le calcul, pour chaque dossier, d'une probabilité de causalité liant l'apparition de la maladie dont souffre le demandeur à une exposition au rayonnement ionisant occasionnée par un essai nucléaire. Seule une très faible probabilité de causalité, c'est-à-dire le caractère hautement improbable d'un lien entre les deux, peut écarter la présomption de causalité instaurée par le législateur. Je tiens à rappeler, même si Madame Aubin l'a déjà mentionné, que l'article 4 de la loi Morin stipule que le Civen, examine si les conditions d'indemnisation sont réunies. Lorsque c'est le cas, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, sauf si, au regard de la nature de la maladie et des conditions d'exposition, le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable. Le comité justifie alors cette décision auprès de l'intéressé.
La loi ne précise pas ce qui permet de considérer le risque attribuable aux essais nucléaires comme négligeable. Elle ne définit pas l'adjectif négligeable et renvoie au comité le soin de vérifier si cette restriction est applicable au cas soumis. Pour tenir compte de cette disposition, puisque la présomption de causalité inscrite dans la loi n'était pas irréfragable bien que l'esprit de la loi y soit favorable, il fallait, pour chaque dossier, calculer une probabilité de causalité liant l'apparition de la maladie à une exposition au rayonnement ionisant occasionnée par un essai nucléaire. Le Civen a adopté la position selon laquelle seule une très faible probabilité de causalité, c'est-à-dire le caractère hautement improbable d'un lien entre la maladie et l'exposition au rayonnement ionisant, pouvait écarter la présomption de causalité instaurée par le législateur. C'est pourquoi, déjà du temps de Mme Aubin, ce taux avait été fixé à 1 %. Ainsi, lorsqu'il y avait 1 % de chance qu'une maladie radio-induite puisse être imputable à l'exposition subie lors des essais, la demande était acceptée. Autrement dit, si la probabilité que la maladie ne soit pas imputable à l'exposition était de 99 %, nous écartions cette possibilité et ne retenions que le 1 %.