Le Civen a été institué par l'article 4 de la loi Morin du 5 janvier 2010, adoptée après un considérable travail préparatoire, et de nombreux débats et rapports. L'objectif de cette loi était d'indemniser les personnes atteintes de maladies radio-induites provoquées par les essais nucléaires réalisés par la France entre 1960 et 1996 au Sahara et en Polynésie française. Cette indemnisation devait bénéficier aux civils et militaires ayant participé aux essais, ainsi qu'aux populations locales ayant résidé ou séjourné dans les zones des essais à certaines périodes définies par la loi, et atteintes d'une pathologie figurant sur une liste établie par décret en Conseil d'État. Cette liste a évolué au fil des années mais, initialement, elle concernait presque exclusivement des cancers.
La loi et la composition du comité, comprenant une majorité de médecins spécialistes reconnus en cancérologie, en maladies radio-induites et en radioprotection, établissaient que la mission du comité était de rechercher le lien médical entre une exposition aux rayons ionisants et une maladie figurant dans la liste. La loi instituait une présomption d'imputabilité de la maladie aux essais nucléaires, sauf si, je cite le texte de la loi, « au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition, le risque attribuable aux essais nucléaires pouvait apparaître comme négligeable ». Cette clause restrictive, bien que justifiée, a focalisé toutes les critiques et a finalement été supprimée. Mes deux collègues ici présents vous expliqueront ce que cela a changé dans le travail du Comité. Pour répondre à l'esprit de la loi, qui se voulait libérale et généreuse, le Civen a adopté, dès ses premiers mois de fonctionnement, une méthode claire et elle aussi généreuse pour l'étude des dossiers soumis. Il commençait par examiner la recevabilité de la demande, en vérifiant la nature de la maladie, le lieu d'exposition, l'époque, etc. Ensuite, il procédait à l'estimation de la dose reçue. À cet égard, je rappelle que, lors des travaux préparatoires de la loi, il avait été acté qu'il n'y aurait pas de seuil de doses, ce qui me semblait incohérent. En effet, seule une mesure de doses externe ou interne permet de déterminer s'il y a eu exposition à des rayonnements ionisants. Et un seuil de doses permet de reconnaître une maladie professionnelle imputable aux rayonnements ionisants dans le cadre du droit commun.
L'estimation de la dose reçue se faisait à partir des informations disponibles en dosimétrie externe individuelle, grâce aux dosimètres portés par le personnel travaillant sur les sites. La dosimétrie interne, quant à elle, reposait sur les résultats des examens anthroporadiométriques et toxicologiques. La dosimétrie d'ambiance fournissait des informations sur les conditions d'exposition et la nature de l'activité. En l'absence de dosimétrie individuelle, on retenait la dosimétrie d'ambiance pour les populations locales ou la dosimétrie reconstituée. Tous ces éléments étaient mis à la disposition du Civen par le Département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires (DSCEN), qui disposait d'un fonds d'archives considérable. J'ignore ce qu'il est devenu et qui le gère actuellement. À partir de ces éléments, la recherche de la probabilité de causalité était effectuée pour chaque dossier par un médecin-conseil du Civen, mis à disposition par le ministre de la défense. Pour cette recherche, nous utilisions des modèles fondés sur des études épidémiologiques, validés par la communauté scientifique internationale, et un calcul de probabilité à partir du logiciel Niosh-Irep, élaboré et régulièrement mis à jour conformément aux recommandations de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Je ne répondrai pas ici aux insinuations des auteurs de Toxique : enquête sur les essais nucléaires français en Polynésie à propos de ce logiciel, que nous avons utilisé tel quel, en retenant une probabilité de causalité très différente de celle retenue par les Américains et les Anglais. Pour chaque dossier, nous prenions toujours les éléments les plus favorables, ce qui conduisait à une surestimation systématique de l'exposition. À l'issue de ces calculs, nous obtenions un pourcentage de probabilité. Un pourcentage de 1 % ou plus aboutissait à une recommandation d'indemnisation, calculée selon la nomenclature dite « nomenclature Dintilhac ». Sinon, nous proposions un rejet de la demande.
Je souhaite m'arrêter sur ce 1 %. Cela signifie que si 100 personnes ont subi une dose d'irradiation et sont atteintes de la même maladie, une seule de ces maladies est possiblement imputable à l'irradiation. Les 99 autres seront indemnisées de la même manière, car, comme vous le savez, le problème du cancer est qu'il n'existe pas de signature spécifique, et qu'il peut avoir de multiples causes. Je rappelle que les Américains retiennent une probabilité de 50 %, et les Anglais, 20 %. Il est donc déraisonnable de soutenir que la faiblesse du nombre de dossiers indemnisés est due à une sévérité excessive du Civen. Je me souviens, par exemple, d'un cas où, malgré notre conviction unanime qu'il n'existait aucun lien entre une possible irradiation et la maladie invoquée, qui était génétique, nous avons reconnu un droit à indemnité.
Pendant la période où j'ai présidé le Civen, de 2010 à 2015, celui-ci a tenu environ trente réunions par an, étudié 847 demandes et formulé autant de recommandations, toutes suivies, à ma connaissance, par le ministère. Cela justifie pleinement la transformation du Civen en autorité administrative indépendante, évitant ainsi les itérations de dossiers entre le comité et le ministère de la défense.
Près de 200 demandes sur les 847 reçues n'étaient pas recevables, que ce soit pour des raisons de maladie, de lieu ou de temps.
Je conçois que ces résultats aient pu sembler décevants pour ceux qui avaient placé de grands espoirs dans la loi Morin, comme cela est apparu très clairement lors des deux commissions de suivi auxquelles j'ai participé. Durant ces commissions, le travail du Civen a été vivement critiqué par les représentants des diverses associations. Cependant, comme je l'ai mentionné précédemment, on ne peut attribuer la faiblesse du nombre d'indemnisations à une frilosité ou à une pingrerie du Civen. Les résultats de notre action au fil des années sont en accord avec les études épidémiologiques, notamment l'étude Sépia pour les vétérans des essais et les études de l'Inserm, dont les résultats ne sont pas véritablement surprenants. Ils témoignent, selon moi, de l'erreur initiale qui a consisté à aborder le problème, notamment celui de la dette morale que la France a envers la population polynésienne, sous l'angle de l'imputabilité médicale. À mon avis, il aurait fallu envisager une indemnisation forfaitaire, voire globale, plutôt que de mettre en place cette « usine à gaz », qui n'a pas donné de résultats satisfaisants, mais que je ne renie absolument pas. Nous avons accompli, avec la plus grande souplesse possible, la mission que le législateur nous avait confiée.