La surveillance en matière de radioprotection, conformément aux textes réglementaires de l'époque, a considérablement évolué depuis 1966. À cette époque, des commissions de sécurité étaient chargées de définir les modalités d'application des normes réglementaires, et d'adapter le dispositif à chacune de ces évolutions. Le suivi du personnel du ministère des armées était assuré par les médecins du service de santé des armées au titre de la médecine du travail. Ils s'appuyaient sur le laboratoire d'analyse médicale (LAM) et le laboratoire de radiobiologie (LRB), qui effectuaient des analyses radiochimiques et anthropogammamétriques. Durant la période des essais atmosphériques, le laboratoire de radiobiologie était implanté auprès de l'hôpital Jean-Prince à Papeete, et des structures mobiles étaient déployées à la demande, soit à bord des bâtiments de la marine nationale, soit sur des atolls. Durant la période des essais souterrains, ces installations étaient implantées à l'infirmerie-hôpital des sites à Moruroa. Le service de santé des armées mettait en œuvre des postes de décontamination fine (PDF), où étaient effectués les soins spécifiques, notamment la décontamination de la peau et des blessures en cas d'incident ou d'accident radiologique. Les PDF étaient installés sur les bâtiments de la marine nationale à Hao lors les essais atmosphériques, puis à Moruroa lors des essais souterrains.
L'ouvrage La dimension radiologique des essais nucléaires français en Polynésie : À l'épreuve des faits, dont les données correspondent à nos archives, fournit des informations sur l'exposition des travailleurs. Entre 1966 et 1974, pendant les essais aériens, 52 750 personnes, quels que soient leur appartenance, leur fonction, les risques d'exposition, la durée de séjour et le lieu d'affectation, ont été soumises à une surveillance dosimétrique. L'analyse des résultats de cette surveillance montre que seuls 3 425 d'entre eux ont été exposés lors d'opérations spécifiques listées. Quels sont les travailleurs surveillés pendant la période des essais aériens français ? Pour le ministère de la défense, il s'agissait des personnels réalisant les missions de pénétration pilotée et de poursuite du nuage, les missions d'écoute des réseaux de bouées radiologiques, les investigations et prélèvements dans les zones de retombées proches, le repérage et le chalutage des têtes de fusées tirées dans le nuage, la réception des missions aéroportées ou la décontamination du matériel.
Au cours des essais aériens, la majorité du personnel a reçu des doses inférieures au seuil d'enregistrement, c'est-à-dire 0,2 mSv. Ces résultats systématiquement très faibles m'ont d'ailleurs surprise à mon arrivée. Des doses annuelles supérieures à 5 mSv ont été enregistrées dans 291 cas. Le dépassement de la limite réglementaire annuelle des doses, fixée à 50 mSv, a été constaté dans trois cas. Je rappelle que, à l'époque, cette limite réglementaire annuelle de 50 mSv concernait les travailleurs des catégories les plus exposées, de nos jours appelées catégorie A. Depuis 2002, cette limite a été abaissée à 20 mSv. Dans deux des trois cas de doses supérieures à 50 mSv, les doses reçues étaient comprises entre 120 et 180 mSv. Les travailleurs en question étaient membres de l'équipage de l'avion Vautour effectuant des pénétrations pilotées dans le nuage radioactif à la suite de l'essai Aldébaran en 1966.
Pendant les essais souterrains, entre 1975 et 1996, plus de 5 200 travailleurs ont été soumis à une surveillance dosimétrique en fonction de leur affectation et de leur période de présence sur site. Les sites d'exposition externe étant limités, seul le personnel effectuant des opérations spécifiques était susceptible d'être exposé. Ces opérations incluaient le montage des engins nucléaires à tester, l'exécution des postes de forage après les essais, le traitement des échantillons de lave issus des cavités et la décontamination des instruments de forage. La majorité du personnel a été exposée à une dose annuelle inférieure au seuil d'enregistrement de 0,2 mSv. 2 124 doses annuelles étaient supérieures à 0,2 mSv, dont dix doses comprises entre 5 et 15 mSv, et parmi elles une seule comprise entre 15 et 30 mSv.
Concernant la population, les doses susceptibles d'être délivrées aux habitants des trois îles de Polynésie par les retombées radioactives proches des six essais – Aldébaran en 1966, Rigel en septembre 1966, Arcturus en 1967, Encelade en 1971, Phoebe en août 1971 et Centaure en 1974 – ont été réévaluées en 2006. L'estimation des doses efficaces maximales pour les enfants a conduit à une valeur de 10 mSv, considérée comme une dose faible pour laquelle aucun effet stochastique, c'est-à-dire l'apparition de cancers, n'est attendu. Les doses maximales délivrées à la thyroïde des enfants ont été de 98 mSv aux Gambiers lors de l'essai Phoebe, et d'une valeur comprise entre 3 et 10 mSv en dose efficace aux Gambiers lors de l'essai Aldébaran.
À l'époque, les travailleurs exposés étaient désignés comme « des travailleurs directement affectés ».