Permettez-moi de retracer brièvement mon parcours. Mécanicien de l'aéronautique navale, je me suis porté volontaire pour suivre une formation de décontamineur à Cherbourg. Titulaire des diplômes civil et militaire à l'issue de cette formation, j'ai eu le privilège de partir en Polynésie sur le bâtiment de soutien logistique (BSL) Rance. Dans ce laboratoire de radioécologie, nous analysions des échantillons de faune et de flore, et mon travail consistait à enregistrer tous les échantillons déposés, et à les faire passer de l'état solide à l'état liquide en les déshydratant. C'était généralement possible, sauf pour les foies de requin… Ensuite, un autre membre de ce laboratoire passait les échantillons en phase acide afin d'identifier tous les radionucléides présents. Nous étions particulièrement concentrés sur la recherche de l'iode 131. Je dois admettre que trouver la glande thyroïde sur un poisson n'est pas aisé ! Un autre service, comprenant un appelé scientifique et un ingénieur du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), effectuait et consignait les analyses fines. À l'époque, nous ne disposions pas d'imprimantes suffisamment performantes pour traduire les mesures en graphes, et mon travail consistait également à faire ce travail manuellement. Au bout de quelques mois, je savais parfaitement identifier tous les radionucléides présents dans les échantillons.
Vous avez fait référence à l'anecdote que j'ai partagée avec vous s'agissant de la fabrication du pain. Le scientifique chargé des mesures, qui n'était pas très gradé, mangeait avec le cuisinier et le boulanger. Un midi, il a découvert par hasard que, pour fabriquer le pain, le boulanger de la marine utilisait l'eau de mer du lagon de Moruroa, en vertu d'une tradition de la marine que les scientifiques ignoraient. J'ai été le premier à recevoir ce morceau de pain contaminé pour l'analyser.
Lors de certains tirs, comme je n'avais pas d'échantillons à analyser, j'étais souvent de permanence au poste de contrôle radiologique, situé à côté de la passerelle du bateau. Un jour, malgré tous les moyens de prévision météorologique et la présence de nombreux scientifiques, y compris l'état-major du SMSR, nous sommes passés au travers d'un nuage radioactif. Mon chef de service, qui ne voulait pas l'admettre a bien dû reconnaître après de nombreuses discussions, de multiples mesures et contre-mesures, que nous étions bien passés dans le nuage. Mais durant une demi-heure, nous ne savions pas exactement de quoi il retournait, ce qui est un comble sur un bâtiment de commandement.