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Intervention de Pr Marie-Rose Moro

Réunion du mardi 4 juin 2024 à 17h30
Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Pr Marie-Rose Moro, pédopsychiatre, cheffe de service de la Maison de Solenn :

Ces questions sont extrêmement importantes ; je vais m'efforcer d'être la plus directe et la plus explicite possible dans mes réponses. J'ai la chance de travailler dans l'une des rares maisons des adolescents disposant de lits d'hospitalisation ; cette dimension sanitaire permet de démultiplier l'efficacité de telles structures.

En réalité, il faut distinguer deux modèles en matière de maison des adolescents : le modèle médico-social et le modèle sanitaire. Dans le modèle sanitaire tel qu'il existe aujourd'hui, rien n'empêcherait en réalité une maison des adolescents sanitaire de disposer de lits. En effet, à partir du moment où elle est sanitaire, elle bénéficie d'une enveloppe globale de financement. Le modèle existe déjà, mais il doit être associé à une volonté de construire un parcours de soins permettant de recourir à ces lits, à partir d'indications bien définies.

La force des maisons des adolescents réside dans leur ouverture, les modalités d'évaluation et d'orientation. Simultanément, nous ne sommes pas allés au bout de la démarche, en complément de ce qui n'existait pas dans le dispositif, c'est-à-dire l'inter-secteur, les services d'hospitalisation, le système privé. Je souligne que les enfants de la protection de l'enfance bénéficient très rarement du système privé. En effet, ils cumulent de telles vulnérabilités qu'ils ne peuvent être pris en charge que dans des parcours de soins publics, qui assument cette complexité. En conséquence, il est très important d'établir un partenariat entre ces structures. Par définition, les maisons des adolescents disposent d'un très grand nombre de réseaux et de partenariats, qui doivent aller jusqu'à la pédopsychiatrie. De telles démarches pourraient être impulsées, à condition d'être véritablement portées politiquement.

Ensuite, vous m'avez interrogée sur la protection de l'enfance et les placements très précoces. Je vous avoue que ces situations m'empêchent de dormir. La maternité de Port-Royal est une référence. Elle accueille des mamans de l'ensemble de l'Île-de-France, voire de plus loin, qui viennent y accoucher car elles présentent des pathologies complexes ou des pathologies rares. En général, ces situations mêlent à la fois le médical, le social et le psychologique. De la même manière, de très jeunes mères viennent accoucher, car elles sont prises en charge dans les systèmes de pédopsychiatrie. Un certain nombre de ces mères vivent dans des situations de précarité absolue et nous avons très rarement des solutions à leur proposer. Au cas par cas, nous recherchons parfois pendant plusieurs jours des solutions pour les faire sortir et nos collègues de la maternité doivent accepter d'attendre pendant ce temps-là, ce qui n'est pas simple dans le système sanitaire actuel. Dans de telles circonstances, je sais par expérience que l'on est tenté de placer les enfants, plutôt que de prendre en charge l'ensemble de la situation.

Des enfants sont donc placés pour des raisons sociales, d'autres parce que les conditions matérielles et les conditions de vie ne permettent pas aux parents de les prendre en charge. Il s'agit là d'une tragédie à la fois pour les parents, mais aussi pour les enfants. Dans ces situations que nous connaissons par ailleurs à l'avance, il faudrait être capable de mettre en place des systèmes de prévention. Il s'agit par exemple de trouver une chambre ou des lieux assurant un minimum de sécurité aux enfants et aux mères, afin d'éviter ces placements. Par ailleurs, un accompagnement éducatif et social est parfois, voire souvent, nécessaire.

Nous parvenons à bricoler, dans un certain nombre de cas, des prises en charge avec nos partenaires, pour éviter des placements. De fait, il est toujours plus efficace d'agir de la sorte, plutôt que de commencer par placer les enfants avant de s'interroger sur la suite. Selon les études menées sur ces enfants placés dans de mauvaises conditions, c'est-à-dire pour de mauvaises raisons, leur devenir est très négatif et même funeste.

Dans ce domaine, il existe deux grandes études en France. L'une avait été menée dans le département de la Seine-Saint-Denis par le Professeur Serge Lebovici, dans le cadre d'une recherche-action-formation, un modèle très intéressant. En effet, la recherche permet d'agir immédiatement, par exemple sur un certain nombre de vulnérabilités, et de former les équipes en même temps. Une autre étude avait été réalisée dans le XIIIe arrondissement de Paris par l'équipe du docteur Myriam David, qui était une pionnière dans les pouponnières. Elle avait beaucoup travaillé sur les mères qui souffraient de difficultés psychologiques, et mettait en avant un modèle anglo-saxon de prise en charge. Dans les études d'implémentation de son travail, elle avait montré que le devenir des enfants placés avant l'âge de 3 mois était extrêmement négatif et qu'il fallait vraiment agir. Elle concluait que si l'enfant devait être placé, il fallait essayer de garder des liens et d'utiliser les ressources qui restaient aux parents pour justement protéger les enfants. Il s'agit en quelque sorte d'un système d'action éducative en milieu ouvert (AEMO), où l'on s'occupe des parents ou de la mère, mais aussi de l'enfant. Ce travail très pluridisciplinaire suppose des lieux d'accueil pour ces familles, mais ils sont très rares. Quand ils existent, ils produisent néanmoins un très bon travail.

Le troisième point concerne la formation initiale et continue de tous les professionnels qui interviennent. Ceux-ci doivent effectivement pouvoir disposer d'un minimum de connaissances sur le développement, la parentalité, les vulnérabilités sociales et culturelles. S'agissant des classes d'âge, il existe un problème de formation initiale et continue. J'ajoute que ces personnels qui exercent un travail dur doivent être supervisés par d'autres qui ne sont pas en contact direct avec les enfants, mais qui peuvent avoir du recul et proposer d'autres leviers.

Enfin, vous m'avez interrogée sur les obstacles aux études et la recherche-action ou la recherche-action-formation. Ces études sont difficiles à réaliser, elles doivent être conduites sur le long terme. Par ailleurs, la pédopsychiatrie n'est peut-être pas assez « sociale ». Il manque une articulation entre la médecine et les sciences humaines pour pouvoir conceptualiser un certain nombre de ces études. Ensuite, celles-ci doivent être très collaboratives et intégrer les éducateurs, les travailleurs sociaux, les infirmières, les médecins, les psychiatres. Elles doivent être très concrètes, pragmatiques. En France, les travailleurs sociaux ne sont certes pas assez informés, mais personne ne leur dit non plus qu'ils sont capables de mener des recherches. Par comparaison avec la Belgique ou la Suisse, pays avec lesquels nous avons beaucoup travaillé, nous ne sommes pas suffisamment collaboratifs pour conduire ce type d'études. Il importe donc d'agir à la fois en amont et en aval, sur les effets de ces actions, qui sont des actions sociales, éducatives, et pas seulement médicales. Elles ne sont pas assez soutenues.

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