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Intervention de Pr Marie-Rose Moro

Réunion du mardi 4 juin 2024 à 17h30
Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Pr Marie-Rose Moro, pédopsychiatre, cheffe de service de la Maison de Solenn :

Je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui. Je suis psychiatre de bébés, d'enfants et d'adolescents. La Maison de Solenn accueille d'ailleurs ces trois populations, et non uniquement les adolescents. Par ailleurs, j'ai conservé une activité avec les familles migrantes à l'hôpital Avicenne, où je travaillais au préalable en tant que cheffe de service. J'ai donc la chance d'intervenir sur deux territoires, de cerner les forces, mais aussi les difficultés de ce sujet, c'est-à-dire la bonne évaluation et prise en charge des enfants, dans leur intérêt.

D'une manière générale, ces enfants placés et ces familles cumulent une série de vulnérabilités, qui nous obligent à une grande rigueur pour bien les aider. Ces derniers temps, j'ai été confrontée à des situations difficiles qui conjuguent deux impératifs. D'abord, il s'agit d'agir le plus tôt possible : quand nous prenons en charge des bébés, des enfants, des adolescents qui se développent, nous agissons à la fois maintenant en diminuant une souffrance, en prenant une décision de protection, mais aussi pour l'avenir. Dès lors, si cette action n'est pas conduite dans la bonne temporalité, il faudra, plus tard, en traiter les conséquences, ce qui correspond à une forme de « double peine ». La question de la temporalité est donc très importante.

L'autre impératif concerne la pluridisciplinarité. J'agis sur la souffrance psychologique des enfants et des familles. Mais il faut également s'occuper du corps de ces enfants, de l'école, des lieux où ils vivent et même éventuellement de ce qu'ils mangent. En résumé, cette action doit être pluridisciplinaire ; elle suscite des interdépendances entre les différents acteurs, dont le juge des enfants, l'avocat, l'éducateur, le travailleur social, l'infirmière, le médecin, le psychiatre, l'enseignant. Lorsque nous parvenons à bien protéger ces enfants, les consoler puis les soigner, voire les guérir dans certains cas finalement assez nombreux, nous obtenons des résultats grâce à la mise en œuvre de l'ensemble des dispositifs. En agissant seuls, nous ne pouvons y arriver et nous ne menons pas une action de santé publique permettant de modifier le destin d'un enfant.

J'insiste particulièrement sur cette interdisciplinarité : si un seul des maillons manque ou est mis en difficulté, l'ensemble de la chaîne s'en trouve fragilisée. Par exemple, nous savons que la santé somatique de ces enfants placés est réellement très mauvaise. Des actions élémentaires ne sont pas conduites en matière de vaccination, de sommeil ou de nutrition. Dans le service, nous voyons ainsi des enfants boulimiques dont l'obésité morbide est extrêmement grave, mais n'a pas été prise en charge, pour une raison ou pour une autre, au sein de cette chaîne. La situation peut perdurer et demeurer reléguée au second plan jusqu'au moment où elle éclate au grand jour : les conséquences de cette obésité finissent ainsi par atteindre le cœur, les articulations et évidemment le fonctionnement psychique. Cette pluridisciplinarité constitue d'ailleurs la grandeur de nos métiers. Je ne me lasse pas de ce travail très collectif, qui engage les équipes et demeure particulièrement intéressant à réaliser.

Par ailleurs, le respect des droits de ces enfants et de leurs familles est essentiel, mais il fait très souvent défaut. Parfois, il peut s'agir de très petites choses. Récemment, une petite fille pleurait amèrement parce que ses parents n'avaient pu venir la voir, non pas le jour, mais même la semaine de son anniversaire. Le père n'était pas autorisé à venir par la justice, mais sa mère, ses frères et sœurs auraient pu être là. Il s'agit à la fois d'une question symbolique, mais aussi d'une question de droit. La loi définit naturellement une série de situations, mais ces enfants gardent des droits, de la même façon que leurs parents.

Un autre exemple, très différent, concerne des enfants dont la langue maternelle est différente du français. Quand les enfants sont placés, il s'agit d'une grande rupture, puisqu'ils changent de milieu de vie et d'interactions sociales. Mais plus encore, ils changent de langue maternelle. Cette situation est particulièrement violente pour eux. Dans le cadre de thérapies, nous faisons en sorte que ces enfants puissent avoir accès à des livres dans leur langue maternelle ou tout autre élément rattaché à celle-ci. Malheureusement, de telles actions manquent souvent, ce qui contribue à augmenter la violence du placement pour ces enfants.

J'ai évoqué plus tôt l'impératif de pluridisciplinarité, laquelle souffre effectivement de dysfonctionnements. S'il fallait en citer un seul, j'évoquerais le temps des mesures, la temporalité. Aujourd'hui, la plupart des mesures, sauf les mesures de grande urgence, sont prises dans une rupture de temporalité totale entre le moment où une évaluation est réalisée par différentes personnes, le transfert du dossier au juge et sa décision subséquente, et le temps où cette mesure sera exécutée. Compte tenu de ces différentes temporalités, lorsque la mesure est mise en œuvre, un très grand nombre de paramètres auront évolué, dont le développement de l'enfant. Les procédures interviennent ainsi à contretemps, ce que reconnaissent, par ailleurs, les équipes éducatives. En raison de la pénurie et du désordre, il est en quelque sorte impossible d'agir sur cette mécanique, qui augmente « l'embouteillage » et qui diminue l'impact, la crédibilité et l'efficacité de la mesure. J'utilise tout mon poids pour téléphoner, écrire, rencontrer les acteurs clefs comme le juge par exemple, mais il demeure extrêmement difficile d'intervenir. Tout se passe comme si le désordre appelait le désordre.

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