Comme je l'ai déjà dit dans d'autres cadres, nous devons passer d'un État providence à un État protecteur.
L'État providence vise à apporter le maximum de protection sociale, de redistribution, de chèques, au plus grand nombre de personnes – et pas toujours, d'ailleurs, à celles qui en ont nécessairement besoin. Cette extension sans limite de la redistribution sociale dans notre pays a affaibli les capacités d'investissement de l'État dans la protection. Or deux protections me paraissent absolument indispensables : contre le changement climatique, et contre les risques politiques. Elles coûteront très cher dans les années à venir. Si nous ne redéfinissons pas le sens de l'État, nous ne pourrons y apporter que des réponses de court terme. Voilà pourquoi je plaide pour que nous basculions d'un État providence, dont l'unique objectif est d'étendre la protection sociale, à un État protecteur, qui cible son action sur la défense, la sécurité et la lutte contre le changement climatique. Il s'agit d'un arbitrage majeur que nous devons être capables de réaliser.
Sous l'impulsion du Président la République, nous avons pris des décisions dans le cadre de la dernière loi de programmation militaire. En l'espace de dix ans, nous avons doublé le budget des armées, ce qui représente un effort considérable, sans équivalent. Nous avons remis les armées françaises à niveau. En tant que ministre des finances, je n'ai jamais cherché à remettre en cause cet effort ; j'ai toujours souhaité répondre aux besoins des armées en équipements et en investissements, parce que je les juge indispensables à la protection de nos compatriotes. Cependant, gouverner, c'est choisir. Si nous faisons ce choix de protection, nous devons aussi être capables de limiter un certain nombre de prestations sociales et de revenus de redistribution accordés aujourd'hui.
Il n'est pas possible de tout faire. Laisser entendre le contraire nous conduirait à nous endetter à un niveau qui deviendra un jour insoutenable et à consacrer beaucoup d'argent au financement des intérêts de la dette. Les 52 milliards prévus pour cette charge en 2024 seraient mieux utilisés à acheter des équipements de défense.
Nous sommes arrivés à un moment où il faut faire des choix. Certes, il n'y a pas d'urgence absolue, et il est nécessaire d'en débattre car ces choix seront compliqués. Tout le monde est d'accord pour investir dans la défense et dans la protection contre le changement climatique, mais dès que l'on dit qu'il faudra renoncer à telle ou telle protection sociale, il n'y a plus d'unanimité ! Lorsque j'ai annoncé, en janvier 2024, qu'il fallait réduire le bouclier tarifaire sur l'électricité, parce qu'il s'agissait d'une mesure exceptionnelle n'ayant pas vocation à durer, je me suis tout à coup retrouvé bien seul. C'est pourtant ma conviction très profonde, en tant que responsable politique : l'État providence, qui a structuré l'action publique depuis un siècle, doit maintenant laisser place à un État qui protège face à des menaces nouvelles qui n'ont jamais été aussi fortes – je veux parler des menaces géopolitiques, autrement dit de la guerre, et des menaces climatiques, alors que l'accélération du changement climatique pénalise bon nombre de nos compatriotes.