Je suis très heureux de participer, pour la première fois en sept ans, à une audition de la commission de la défense de l'Assemblée nationale. C'est pour moi un grand honneur et un grand plaisir compte tenu de l'attachement que j'ai pour les forces armées et pour les questions de défense.
L'objectif de souveraineté est devenu le pivot de notre politique économique en faveur de la réindustrialisation et du développement des entreprises. Le contexte récent, sanitaire avec la crise du covid, géopolitique avec l'Ukraine et économique avec les tensions commerciales auxquelles nous assistons entre la Chine et les États-Unis, nous pousse à placer l'enjeu de souveraineté au cœur des priorités de notre politique économique.
La première conséquence que nous en tirons est que nous organisons, depuis la crise du covid, une moindre dépendance de notre industrie à des chaînes d'approvisionnement internationales pour les composants les plus critiques. On a pu voir, pendant la crise du covid, certains grands fabricants industriels de l'aéronautique s'apercevoir soudain qu'ils ignoraient d'où venaient les éponges en titane et comment s'en procurer. Or, sans éponge de titane, il n'y a pas de réalisation aéronautique possible.
Nous avons donc engagé une stratégie de désensibilisation à l'égard de certaines filières et de souveraineté pour certains composants critiques. En voici quelques exemples concrets : la désensibilisation de la filière aéronautique au titane russe grâce au projet d'usine de recyclage EcoTitanium, qui est cofinancé par l'État ; le rachat du fabricant de turbines pour centrales nucléaires General Electric Steam Power (Geast) par EDF, qui nous a demandé deux ans de travail intense pour parvenir au résultat que nous avons obtenu il y a quelques jours ; la relocalisation de la fabrication des médicaments les plus critiques grâce au financement de 100 projets par France relance, dont la réouverture d'une usine de fabrication de paracétamol, sélectionnés sur la base d'une liste de près de 400 médicaments critiques dont les chaînes d'approvisionnement sont à sécuriser.
La deuxième conséquence que nous avons tirée de cette évolution est de défendre la maîtrise pleine et entière de nouvelles chaînes de valeur industrielles critiques pour notre industrie et pour sa décarbonation.
Le meilleur exemple est celui de la filière batterie. Je rappelle que, en 2019, nous étions dépendants à 100 % de la Chine. Or les batteries représentent près de 40 % de la valeur ajoutée d'un véhicule électrique. Nous avons financé cinq projets de gigafactories, qui permettront à la France de devenir exportatrice nette des batteries les plus performantes du monde, et deux projets de batteries solides dont l'autonomie est supérieure de 40 % à celle des autres, Blue Solutions et ProLogium. Grâce au développement de la voiture électrique et de la filière des batteries électriques, la France passera d'une situation où elle achète du carburant pour plusieurs dizaines de milliards par an à l'étranger à une production autonome de batterie et d'électricité.
Un autre exemple pertinent est celui de la filière des énergies renouvelables (ENR). Nous sortirons des énergies fossiles d'ici à 2050 grâce à une hausse de la part de l'électricité décarbonée dans notre mix énergétique, qui passera de 27 % à 56 %. Nous le ferons en construisant des réacteurs nucléaires, des champs éoliens offshore fabriqués en France et des centrales solaires, dont nous espérons produire demain les panneaux en France grâce à deux projets de gigafactories, à Fos-sur-mer et à Hambach. Le crédit d'impôt au titre des investissements en faveur de l'industrie verte (C3IV) financera de l'ordre de 20 % des investissements en capital des projets de production des technologies vertes pour faire de la France – c'est mon objectif – la première économie décarbonée en Europe à l'horizon 2040.
La résistance de l'économie hors défense suppose également un renforcement de notre dispositif national d'intelligence et de sécurité économiques, qui a été profondément rénové depuis 2019 pour viser trois objectifs : protéger nos actifs stratégiques d'une déstabilisation en captant les opportunités de partenariats internationaux bénéfiques et en maintenant le principe d'une économie ouverte ; garantir nos chaînes d'approvisionnement ; prévenir l'application d'une réglementation étrangère qui affecterait nos intérêts économiques, industriels et scientifiques.
Pour ce faire, nous utilisons tous les moyens nécessaires pour surveiller et accompagner des entreprises, des laboratoires publics et des infrastructures critiques. Ce dispositif nous a permis de détecter et de traiter près de 1 000 cas de sécurité économique en 2023, soit trois fois plus qu'en 2020, ce qui reflète la montée en puissance tant de notre détection que de la menace. Dans le détail, près de 50 % des alertes sont de nature capitalistique, dans le cadre d'opérations d'investissement et de rachat ; 40 % des alertes concernent des risques pesant sur les savoirs et les savoir-faire stratégiques ; 10 % des alertes relèvent d'actions de déstabilisation et d'infractions au droit commun.
Le Gouvernement a également renforcé ses instruments d'action. Les agents du service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (Sisse) mènent un travail de prévention. Il y a quelques mois, j'ai renforcé la loi du 26 juillet 1968 du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères, dite loi de blocage, en vue d'en améliorer l'applicabilité. Le décret du 18 février 2022 crée un guichet d'accompagnement des entreprises, qui est rapidement monté en charge, comme en témoignent la centaine de saisines dont il a fait l'objet en deux ans et la reconnaissance quasi-systématique, par les autorités étrangères, de son action. L'objectif est de se prémunir contre des demandes d'informations excessives ou sensibles au titre de procédures judiciaires ou administratives abusives.
Par ailleurs, le décret du 12 mai 2024 portant diverses dispositions relatives à la protection du potentiel scientifique et technique de la Nation permet d'empêcher des individus ou des entités malintentionnés d'accéder à nos savoirs et savoir-faire sensibles, notamment grâce à des mesures de protection physique des sites sensibles. Fin 2023, 106 établissements du périmètre de compétence de mon ministère adhéraient à ce dispositif.
Enfin, la France dispose désormais de l'un des régimes les plus aboutis au monde en matière de contrôle des investissements étrangers, le dispositif investissements étrangers en France (IEF). Dès 2019, j'ai décidé d'accroître le champ des activités soumises au contrôle IEF. La loi Pacte a étendu la procédure, précisé et étendu les pouvoirs de police et renforcé les sanctions. J'ai également étendu le champ de contrôle, à la suite de la crise du covid, aux activités de R&D dans les biotechnologies, dans les technologies bas-carbone compte tenu de l'importance de la transition écologique, et dans les activités d'extraction, de transformation et de recyclage des matières critiques. Je l'ai encore étendu en janvier de cette année, compte tenu de l'importance de la maîtrise de l'intégralité de la chaîne de valeur, s'agissant notamment de l'électricité décarbonée, des matières critiques au produit fini.
J'ai également pris la décision d'étendre de façon permanente le champ du dispositif au franchissement du seuil de 10 % des droits de vote dans une entité française cotée par un investisseur non européen. Ce point est absolument critique. Auparavant, le seuil de déclenchement était à 25 %. Je l'ai abaissé à 10 % pendant la crise du covid. J'ai ensuite pris la décision de l'y maintenir de façon permanente pour assurer un filtrage plus étroit. J'ai également renforcé les moyens humains du dispositif, auquel travaillent désormais trente personnes au quotidien, dans un cadre interministériel, pour assurer l'instruction des demandes au titre des investissements étrangers en France et le suivi des engagements.
En 2023, l'activité induite par l'application du dispositif IEF est restée stable. La direction générale du Trésor a examiné 309 dossiers, contre 325 en 2022 et 328 en 2021. Avant le renforcement du dispositif, elle en examinait moitié moins – 137 en 2017. En 2023, j'ai autorisé 131 opérations d'investissements étrangers ; 44 % de ces autorisations ont été assorties de conditions pour préserver les intérêts nationaux. Ces conditions sont strictes. Elles visent en général à assurer le maintien de l'activité sur le territoire national, la préservation des actifs industriels, l'investissement sur les sites concernés, la poursuite des activités sensibles, la protection des savoirs et des savoir-faire, la bonne gouvernance et l'information de l'État sur leur suivi.
Si ces conditions sont insuffisamment respectées, ce qui compromet la préservation de nos intérêts, l'opération peut être refusée. J'en ai donc refusé certaines en 2023, dont je ne livrerai pas le détail pour ne pas gêner les entreprises concernées, me contentant d'évoquer une start-up française analysant les images satellites grâce à l'intelligence artificielle au profit de la défense. Si des intérêts stratégiques sont en cause, la décision de refus est immédiate.
Depuis 2019, nous avons renforcé le contrôle de la mise en œuvre des décisions dès lors qu'elles sont assorties de conditions. S'assurer que le respect des conditions est garanti est le gage de la crédibilité du dispositif. En cas de manquement caractérisé au respect des conditions, je dispose de pouvoirs de police allant de l'injonction à la sanction pécuniaire, susceptible de représenter 10 % du chiffre d'affaires, et à la sanction pénale. Ce dispositif est pleinement efficace et utilisé par l'État.
Par-delà le contrôle effectué au titre du dispositif IEF, je n'ai aucune difficulté à faire connaître mon opposition préalable à des opérations dont j'estime qu'elles sont préjudiciables à la souveraineté de l'État ou aux intérêts économiques de la nation. C'est dans ce cadre que je me suis opposé au rachat de la société Carrefour par Couche-Tard, car j'estimais que les producteurs agricoles français et la distribution alimentaire étaient en jeu. C'est dans ce cadre que je viens d'annoncer à la représentation nationale, il y a une heure, que, s'agissant de la cession de Biogaran, nous n'accepterons aucun repreneur n'offrant pas des garanties absolues sur l'approvisionnement en génériques ainsi que sur les sites industriels et les emplois qui vont avec – une trentaine de sites industriels représentant 8 500 emplois. Si les éventuels repreneurs n'offrent pas toutes les garanties nécessaires sur ces deux points, je mettrai mon veto à la cession de Biogaran.
La résilience de l'économie dépend aussi de celle des services du ministère et des opérateurs sous son autorité. Tel est l'objet de la mise en œuvre de la Stratégie nationale de résilience (SNR), validée en avril 2002 par la Première ministre, qui prévoit notamment le recensement des stocks stratégiques de l'État et l'élaboration de plans de continuité de l'activité (PCA) dans chaque ministère. Par ailleurs, le ministère de l'économie et des finances est un acteur majeur du dispositif Sécurité d'activité d'importance vitale (SAIV), qui est piloté par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).
Comme vous pouvez le constater, nous sommes pleinement mobilisés sur l'enjeu de souveraineté. Il est essentiel de garantir le développement de nos activités industrielles souveraines dans les secteurs stratégiques que sont l'intelligence artificielle, le calcul quantique et la transition écologique. Il faut en même temps, ce à quoi je m'emploie depuis sept ans, éviter tout rachat d'actifs stratégiques par des intérêts étrangers qui pourraient menacer l'indépendance de notre nation.