J'ai souhaité consacrer les travaux de ce printemps de l'évaluation aux défis et aux stratégies pour une gestion durable et optimisée du patrimoine immobilier de l'État. Notre parc immobilier, bien plus qu'un ensemble de bâtiments et de terrains, constitue un véritable outil de travail pour l'exercice des missions de services publics dont l'État a la charge. C'est un puissant levier de transformation de l'action publique dans le contexte de la transition environnementale et numérique.
J'ai identifié deux axes de travail fondamentaux pour l'élaboration de notre politique immobilière. Le premier concerne la connaissance de notre parc immobilier, car l'État ne peut définir sa stratégie sans savoir ce qu'il possède et dans quel état se trouvent ses biens. Le second axe porte sur l'organisation de la fonction immobilière, le Gouvernement ayant récemment annoncé la création d'une foncière publique. Au terme de mes travaux, je constate que la connaissance par l'État de son propre patrimoine demeure lacunaire, notamment en ce qui concerne l'état de vétusté des biens et leur valorisation. Je suis également arrivé à la conclusion que le projet de foncière pourrait constituer un mode de gestion vertueux, à condition de respecter certaines conditions.
S'agissant de la connaissance par l'État de son patrimoine immobilier, bien que les progrès des outils informatiques permettent une description assez fidèle du contenu de son parc, des marges de progrès importantes subsistent quant à l'état des biens et leur valorisation.
Plusieurs éléments viennent étayer ce constat. Tout d'abord, l'indicateur de vétusté des biens est faiblement renseigné dans le document de politique transversale (DPT) « Politique immobilière de l'État ». Ensuite, nous observons un véritable manque de données techniques et d'exploitation dans l'inventaire, et notre connaissance de la consommation énergétique des bâtiments reste partielle. Enfin, contrairement à la majorité des pays européens, nous ne disposons pas d'un indicateur de satisfaction des utilisateurs des bâtiments, ce qui nous permettrait d'identifier les besoins et d'adapter le parc en conséquence. Suite à son rapport sur la politique immobilière de l'État de décembre dernier, j'ai interrogé la Cour des comptes. Celle-ci considère que ces limites sont principalement dues au fait que les acteurs qui saisissent des données immobilières sont les services occupants dans le cadre de la gestion courante des bâtiments, et non les utilisateurs directs des applications. Il en résulte une faible incitation à renseigner ces données, d'autant que certaines applications sont complexes d'utilisation. En l'absence de données fiables dès l'origine, l'État ne peut disposer d'une vision complète de son inventaire et donc prendre les décisions appropriées.
Je propose plusieurs améliorations pour optimiser l'inventaire immobilier de l'État. Premièrement, il est essentiel de mettre en place des outils communs de mesure de l'état et des coûts de fonctionnement des biens, après avoir recensé les bonnes pratiques auprès des différents ministères. Deuxièmement, il convient de développer un plan de contrôle interne pour garantir la fiabilité des données immobilières et prévoir un indicateur de cette fiabilité. Troisièmement, il est nécessaire de mobiliser les avancées en matière de data science pour concevoir des outils dynamiques et proactifs de suivi de l'inventaire.
De plus, la méthode de valorisation du patrimoine immobilier de l'État, évalué à près de 74 milliards d'euros fin 2023, repose sur l'utilisation de la valeur vénale pour certains biens. Cependant, cette méthode paraît incertaine et fait l'objet de réserves récurrentes de la part de la Cour des comptes. Elle a d'ailleurs été abandonnée début 2024 pour les immeubles de bureaux et de logements.
En ce qui concerne l'organisation de la fonction immobilière, celle-ci présente d'importantes limites. En pratique, la distinction entre l'État propriétaire et les services occupants n'est pas respectée. Les ministères occupants assument les prérogatives du propriétaire, comme le montre l'architecture budgétaire éclatée en quarante-cinq programmes. La majorité des crédits immobiliers sont intégrés aux programmes des ministères, tandis que les outils interministériels, tels que le CAS Immobilier, ne représentent que 12 % du montant total. Cette confusion des rôles ne responsabilise pas les ministères et les incite à rediriger les crédits vers d'autres priorités.
Ensuite, certains ministères disposent d'une gestion immobilière structurée, tandis que d'autres dépendent d'agences. Cette gestion en silos empêche une mise en œuvre cohérente et efficace de la politique immobilière, notamment pour des sujets transversaux comme l'adaptation au changement climatique et la transition énergétique.
La stratégie immobilière de l'État n'est pas formalisée dans un document synthétique avec des doctrines d'arbitrage claires. Les documents existants, tels que le DPT Immobilier ou la circulaire de 2023 d'occupation des surfaces, ne constituent pas une stratégie opérationnelle complète. Par exemple, la réduction de 25 % de l'emprise sur dix ans n'est pas accompagnée d'un calendrier de mise en œuvre. La direction de l'immobilier de l'État (DIE) m'a indiqué que la rédaction d'un tel document était en cours. Pouvez-vous confirmer cette information et préciser les grands axes de ce document stratégique ?
Face à ces défis, le projet de foncière présenté par le gouvernement me semble pertinent. Ce mode de gestion, où une agence propriétaire des actifs immobiliers de l'État les loue aux ministères occupants, est plébiscité par de nombreux pays européens. Prenons l'exemple allemand : l'Agence fédérale des biens immobiliers possède la quasi-totalité des biens fédéraux depuis 2005 et facture aux ministères un loyer, ce qui lui permet de financer des opérations de construction et d'entretien à la charge du propriétaire. Les bénéfices dégagés sont ensuite reversés au budget général afin de contribuer au désendettement de l'État. Le cas du Royaume-Uni est également intéressant. Dès 2018, le gouvernement britannique a créé une agence immobilière devenue progressivement propriétaire des immeubles de bureaux et qui facture leur occupation au prix du marché. Cette agence est également chargée de conseiller les ministres dans la gestion de leurs biens, en s'assurant de la conformité de leur plan avec la stratégie immobilière nationale. Enfin, une comparaison avec le secteur privé disposant d'un patrimoine foncier important m'a paru pertinente. C'est notamment le cas de La Poste, qui dispose d'une foncière détenant l'intégralité des actifs du groupe, soit plus de 9 000 biens pour une surface d'environ 6 millions de mètres carrés. La foncière loue ensuite ces biens aux autres branches du groupe à la valeur du marché.
Sachant que tous les pays ayant décidé d'y recourir n'envisagent pas de l'abandonner, je salue l'annonce faite par le ministre en février dernier de créer une foncière publique pour l'immobilier de l'État. Mes travaux ont précisé ce projet, qui concerne les immeubles de bureaux des ministères des finances et de l'intérieur, les sites multi-occupants et les biens devenus inutiles des régions Grand-Est et Normandie, soit environ 1 million de mètres carrés. La foncière, pilotée dès début 2025 par l'Agence de gestion de l'immobilier de l'État, deviendra propriétaire des actifs et facturera un loyer aux occupants. Bien que certaines questions restent à trancher, comme le périmètre du pilote et le calcul des loyers, ce projet offre un modèle économique vertueux. Il incitera les ministères à réduire les surfaces en imposant un loyer et centralisera des experts en gestion d'actifs, professionnalisant ainsi la fonction immobilière, une compétence affaiblie par la décentralisation. Elle permettra également de générer des recettes supplémentaires en développant de nouveaux modes de valorisation des immeubles, à l'instar de la foncière du groupe La Poste, qui utilise les biens devenus inutiles pour créer des résidences seniors, des logements sociaux ou encore des espaces de coworking, et qui a ainsi réalisé un chiffre d'affaires de 900 millions d'euros en 2023.
Afin de mener ce projet à son terme, il est recommandé que le périmètre de la foncière soit le plus large possible afin d'incarner pleinement le rôle de l'État propriétaire. L'exclusion de certains biens pourra se décider au cas par cas, et seulement si les ministères disposent des compétences métiers nécessaires. Ensuite, bien que la réforme doive être mise en œuvre progressivement et associer l'ensemble des acteurs concernés, il ne faut pas que les premières difficultés, inévitables dans le cadre d'un projet d'une telle ampleur, conduisent à son abandon pur et simple. Cette réforme doit donc bénéficier d'un portage politique de haut niveau afin d'incarner pleinement son caractère interministériel. Monsieur le ministre, confirmez-vous le soutien du Gouvernement à ce projet de foncière et prenez-vous l'engagement qu'il sera bien mené à son terme ?
Enfin, la création de cette foncière devra s'accompagner d'une réflexion plus large sur l'évolution de la gouvernance de la politique immobilière de l'État et de son architecture budgétaire. Sur ce dernier point, Monsieur le ministre, comment se répartiraient les compétences entre la foncière et la DIE ? Devrait-elle être directement rattachée au ministre et non à la DGFiP, comme c'est actuellement le cas, afin de réellement incarner l'État propriétaire ?