Pour ce Printemps de l'évaluation, j'ai choisi d'examiner les crédits d'impôt spécifiques à la Corse. Les 7 et 8 mai derniers, j'ai participé avec vous, monsieur le président, et d'autres membres de notre commission à un déplacement à Bastia, sur l'invitation de notre collègue Michel Castellani, pour discuter de l'autonomie fiscale de la Corse. Dans la continuité de ces travaux, j'ai souhaité approfondir la question des crédits d'impôt propres à la Corse dans le cadre de mon rapport spécial. Avant de poursuivre, je rappelle que la mission Remboursements et dégrèvements retrace l'ensemble des restitutions que l'administration fiscale est conduite à réaliser au bénéfice des contribuables. Les décaissements liés aux crédits d'impôt s'élèvent à 18 milliards d'euros. Ce montant ne représente qu'une partie du coût de ces dépenses fiscales pour les finances publiques, car la part directement imputée sur l'impôt entraîne une moindre recette fiscale pour l'État. Les niches fiscales constituent donc un sujet majeur de ma mission. Au cours des années précédentes, j'ai également étudié le crédit d'impôt pour les services à la personne ainsi que le crédit d'impôt recherche.
Je reviens maintenant au cœur de mon sujet, les crédits d'impôt spécifiques à la Corse. Il en existe deux. Le premier est le crédit d'impôt pour l'investissement, qui devait prendre fin le 31 décembre 2023 et a été reconduit jusqu'à fin 2027 par la loi de finances pour 2023, suite à un amendement de notre commission. Le second n'est pas un crédit d'impôt à part entière, mais un couple de taux particuliers applicables pour la Corse au titre du crédit d'impôt innovation (CII), qui est lui-même une extension du crédit d'impôt recherche. Actuellement, ce dispositif prendra fin le 31 décembre de cette année. Ces deux dépenses fiscales relèvent de ma mission car elles entraînent des restitutions et donc une consommation de crédit sur les Remboursements et dégrèvements. Toutefois, ces deux crédits d'impôt ne sont pas les seuls dispositifs fiscaux propres à la Corse. Le principal est constitué par les taux particuliers de TVA.
Sur la base des chiffres de 2022, le crédit d'impôt pour l'investissement représente un coût de 104 millions d'euros pour les finances publiques. Près de 60 millions d'euros sont directement restitués aux entreprises bénéficiaires, inscrits sur les crédits de la mission Remboursements et dégrèvements. Le crédit d'investissement bénéficie à environ 5 500 petites et moyennes entreprises, dont la très grande majorité est domiciliée en Corse. Comme son nom l'indique, il permet aux PME d'obtenir un crédit d'impôt au titre des investissements, autres que de remplacement, qu'elles réalisent en Corse. Ce crédit correspond à 20 % du prix de revient hors taxe et hors aide publique. Pour les entreprises de moins de 11 salariés, dont le chiffre d'affaires est inférieur à 2 millions d'euros, le crédit d'investissement s'élève à 30 % du coût de l'investissement. Ce crédit d'impôt concerne principalement l'IS, mais il faut noter que près de 20 % des bénéficiaires sont imposés à IR, ce qui représente plus de 15 % de son montant total.
À ce propos, je regrette que les informations de l'administration fiscale sur l'imputation de ce crédit d'impôt sur l'IR soient beaucoup moins bien connues que celles sur l'IS. Ce crédit d'impôt a été reconduit en loi de finances pour 2023 jusqu'au 31 décembre 2027, suite à un amendement de notre collègue Michel Castellani, qui le limitait initialement jusqu'à 2025, puis du sénateur Panunzi. De manière générale, ce dispositif fait l'objet d'un certain nombre d'amendements chaque année en loi de finances. La dernière modification en date a précisé ce que le législateur entendait par travaux de rénovation d'hôtel, à l'initiative de notre collègue Jean-Félix Acquaviva. Il est important de noter que le secteur de l'hébergement et de la restauration est le principal bénéficiaire du crédit d'investissement pour les entreprises imposées à l'IS, puisqu'il concentre plus de 40 % de son montant. Le secteur du commerce suit avec 15 %, et celui de la construction avec 10 %. Tous secteurs confondus, il ressort de mes auditions que le tourisme constitue la principale activité économique soutenue par le crédit d'impôt investissement, représentant environ les trois quarts des bénéficiaires.
Concernant le crédit d'impôt innovation, le deuxième crédit d'impôt que j'ai examiné, il est difficile d'en estimer précisément le montant. Le crédit d'impôt innovation est en réalité un taux particulier du CIR destiné à certaines dépenses d'innovation des PME. À l'échelle nationale, il représente un coût de 300 millions d'euros, en plus des plus de 7 milliards d'euros du CIR. En Corse, des taux particuliers sont appliqués, 35 % pour les moyennes entreprises et 40 % pour les petites entreprises. J'espère obtenir des chiffres plus précis à ce sujet. En termes de chiffrage, les dépenses privées de R&D en Corse ne s'élèvent qu'à un peu plus de 5 millions d'euros, soit moins de 0,1 % du CIR au niveau national. Seulement 33 entreprises ont bénéficié du CIR en Corse et 6 du crédit d'impôt innovation.
Ces éléments montrent que le coût et l'impact économique de ce crédit d'impôt sont bien inférieurs à ceux du crédit d'impôt investissement. Cela s'explique également par le fait que les taux particuliers mentionnés sont les seuls vestiges d'un dispositif plus large de soutien aux dépenses de R&D en Corse, datant de 2018, qui n'a jamais été pleinement appliqué en raison de sa non-conformité aux règles européennes sur les aides d'État.
Pour revenir au crédit d'impôt investissement, il est difficile d'évaluer son impact sur l'économie insulaire. Mes auditions révèlent que l'effet de ce crédit d'impôt est mal connu des services de l'État. La Cour des comptes note également que les dépenses fiscales en faveur de la Corse n'ont jamais été évaluées, malgré ses recommandations répétées. Elle rappelle que la dernière évaluation remonte au rapport du Comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales de juin 2011, qui avait déjà mis en doute leur efficacité. L'article 43 de la loi de finances pour 2023 disposait que le gouvernement devait remettre au Parlement un rapport évaluant notamment l'efficacité des mesures au regard des objectifs fixés. À la lecture de ce document, il apparaît que ce n'est guère le cas. Durant mes travaux, j'ai également rencontré des difficultés pour obtenir des données autres que celles fournies par l'administration fiscale, qu'il s'agisse de la Dreets, de l'Insee ou encore d'économistes.
C'est pourquoi je recommande en premier lieu qu'une véritable étude d'impact soit menée. Cela permettrait, d'une part, d'éviter les effets d'aubaine et, d'autre part, de modifier ces dispositifs afin qu'ils favorisent réellement un développement économique équilibré de la Corse. Les effets d'aubaine, l'optimisation fiscale, voire la fraude fiscale, constituent les principaux risques du crédit d'investissement, des risques d'ailleurs partagés par tout régime fiscal dérogatoire au droit commun. Je rappelle qu'avant 2019, une partie du crédit d'impôt était détournée pour financer des résidences secondaires, renforçant ainsi la spéculation immobilière au détriment de la population locale. Cette situation a été corrigée grâce à un amendement de notre collègue Acquaviva. Toutefois, le risque de détournement persiste, notamment parce qu'il n'existe pas de minimum de lits pour les établissements de tourisme et que la seule condition de disposer d'équipements et de services communs suffit.
Le contournement de l'intention du législateur est malheureusement facilité par la difficulté d'apprécier les différents critères d'obtention du crédit d'impôt investissement. Par exemple, il est complexe de déterminer le caractère de non-remplacement d'un investissement, la nature même de l'investissement, l'affectation réelle d'un bien à l'activité d'une entreprise, ou encore le respect de la durée de conservation, qui doit être de cinq ans. Pour illustrer ce point, je vais citer un exemple précis. Une entreprise a acquis un hélicoptère pour des travaux de levage et de réparation, une activité éligible au crédit d'impôt investissement. Lorsque vous consultez les registres de vols censés répertorier les transports liés aux travaux éligibles au crédit d'impôt, vous constatez des déplacements de personnes vers des destinations de loisirs, comme des terrains de golf sur la Côte d'Azur ou en Italie. L'affectation principale de l'hélicoptère à une activité éligible au crédit d'impôt apparaît pour le moins incertaine. J'aurais également pu évoquer, si le temps me le permettait, les bateaux et les avions.
Le fait que le crédit d'impôt soit réservé aux PME et que le taux soit plus élevé pour celles de moins de 11 salariés peut encourager la multiplication de sociétés ou d'entrepreneurs individuels. Dès lors, je m'interroge sur l'opportunité d'accorder à l'administration fiscale la possibilité de réaliser des instructions sur place, à l'instar de ce qui est possible pour les crédits de TVA, ce qui n'est pas envisageable aujourd'hui. Une gestion régionalisée des dossiers de crédit d'impôt au niveau de la direction régionale des finances publiques à Ajaccio, y compris pour les dossiers déposés sur le continent, permettrait d'assurer une égalité de traitement et de renforcer la capacité de contrôle des services des finances publiques.
En l'absence d'une étude d'impact pertinente, je considère qu'au vu des informations disponibles, il serait judicieux de recentrer ces dispositifs fiscaux à l'avenir. Ils pourraient être regroupés sous un seul crédit d'impôt et orientés vers des secteurs prioritaires comme la santé ou la transition énergétique, et peut-être moins vers le tourisme, dont le développement semble consolidé.
Mon analyse des crédits d'impôt spécifiques à la Corse s'inscrit évidemment dans une critique plus large des dépenses fiscales en général, comme le montrent mes travaux et mes amendements, notamment concernant le crédit d'impôt recherche ou le crédit d'emploi à domicile.