En ces temps d'austérité budgétaire, la lutte contre l'évasion fiscale devrait être une priorité absolue pour le gouvernement. L'évasion fiscale coûte chaque année entre 80 et 120 milliards d'euros aux caisses de l'État. Cet argent manque cruellement à nos services publics et à nos ambitions écologiques. Il est donc impératif de s'attaquer sérieusement à ce problème, plutôt que de réduire encore les dépenses publiques, ce qui ne ferait qu'aggraver la situation économique et sociale du pays. Depuis deux ans, je travaille sur les moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre l'évasion fiscale. Aujourd'hui, je souhaite me concentrer sur un point précis, l'usage des nouvelles technologies dans le contrôle fiscal.
Depuis plus de dix ans, la DGFiP expérimente l'utilisation du data mining dans la programmation du contrôle fiscal. Il est temps de faire le bilan de cette politique. La montée en puissance du data mining à la DGFiP résulte d'abord du travail de la mission requêtes et valorisation, créée en 2014. En octobre 2020, avec la création du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal (SJCF), cette mission est devenue le bureau SJCF-1D. En 2017, l'objectif a été fixé que le data mining représente 50 % de la programmation des contrôles fiscaux externes hors recherche. Cet objectif a été atteint en 2022.
De ce point de vue, la mise en place de l'intelligence artificielle dans le contrôle fiscal semble donc une réussite. Les différents ministres qui se sont succédé ont d'ailleurs vanté les mérites de l'intelligence artificielle, glorifiant les gains de productivité permis par l'usage du data mining dans le contrôle fiscal. Cependant, la réalité est moins reluisante lorsqu'on examine de plus près les résultats. En 2023, les contrôles issus d'une programmation via le data mining n'ont rapporté que 2,07 milliards d'euros, soit moins de 15 % des sommes mises en recouvrement sur l'année, alors que 56 % des contrôles proviennent désormais des listes data mining. Dans ces conditions, il est difficile de parler de formidables gains de productivité.
Plutôt que de se focaliser sur le nombre de contrôles d'origine data mining, il serait pertinent de s'intéresser à l'efficacité réelle de la mise en œuvre des nouvelles technologies dans le contrôle fiscal. Permettent-elles d'augmenter significativement les sommes mises en recouvrement ? Permettent-elles réellement de dégager du temps pour les agents de terrain ? Conduisent-elles à une meilleure couverture du secteur économique ou à un traitement plus exhaustif des dossiers chaque année ?
C'est avec ces questions en tête que j'ai entamé mon travail d'investigation et d'audition en vue de ce printemps de l'évaluation. Je tiens à remercier Monsieur Iannuci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal, ainsi que Monsieur Clabecq, chef du bureau du data mining, pour leur accueil et les échanges approfondis avec les agents du bureau. Mon travail révèle que les nouvelles technologies peuvent constituer un outil pertinent pour améliorer les performances du contrôle fiscal. Cependant, deux conditions doivent être remplies.
Premièrement, la montée en puissance du data mini ng ne doit pas être utilisée pour justifier des suppressions de postes ni remettre en cause les qualifications et l'expérience des contrôleurs sur le terrain. Deuxièmement, l'efficacité des nouvelles technologies dans le contrôle fiscal doit être évaluée rigoureusement afin que ces outils soient correctement calibrés pour une utilisation optimale. Actuellement, aucune de ces conditions n'est remplie.
Depuis l'élection d'Emmanuel Macron, les baisses d'effectifs se sont poursuivies année après année, avec une réduction de 1 895 ETP en sept ans. De plus, nous ne disposons d'aucune évaluation des gains de productivité liés à l'utilisation de l'IA dans le contrôle fiscal. Les coûts financiers, humains et environnementaux de la mise en place du data mining n'ont jamais été évalués. Enfin, la situation matérielle des agents sur le terrain continue de se dégrader. Les représentants syndicaux m'ont alerté sur l'obsolescence du matériel à leur disposition, tandis que les fraudeurs utilisent des moyens de plus en plus sophistiqués pour échapper à l'impôt. La Cour des comptes fait le même constat et déplore depuis plusieurs années la dette technologique qui se creuse à la DGFiP. En matière de contrôle fiscal, la mise en place du data mining est donc l'arbre qui cache la forêt. Le manque d'investissement matériel, humain et de formation dans ce domaine est dénoncé de toutes parts, et le gouvernement en porte l'entière responsabilité.
Pour remédier à cette situation, je formule aujourd'hui une première série de recommandations. Il est urgent d'évaluer réellement les résultats financiers du data mining, impôt par impôt, ainsi que l'évolution du nombre de contrôles effectués, quelle que soit la source de programmation. Il faut également évaluer les coûts réels du data mining depuis 2014, y compris les coûts environnementaux. Un plan d'apurement de la dette technologique doit être mis en place dans l'ensemble des services de la DGFiP participant à la lutte contre l'évasion fiscale. Il est nécessaire d'évaluer les gains de productivité engendrés par l'introduction du data mining en regard des diminutions d'effectifs dans le contrôle fiscal depuis 2014. Enfin, je réitère ma recommandation, déjà formulée à deux reprises lors de l'examen des derniers PLF, d'adopter a minima un moratoire sur les suppressions de postes dans le contrôle fiscal et d'embaucher pour revenir aux effectifs de 2010. Il faut des agents sur le terrain si nous voulons sérieusement nous attaquer à l'évasion fiscale.
Au-delà de l'évaluation nécessaire de l'efficacité des nouvelles technologies en termes financiers, il est également indispensable d'évaluer les changements organisationnels que l'introduction de l'IA a engendrés. Tout d'abord, le recours à l'IA doit être plus transparent. Les algorithmes sont construits à partir des expériences de contrôle antérieures. Comment dès lors s'assurer de l'absence de biais ? Une programmation du contrôle fiscal qui ne serait capable de détecter que les schémas de fraude déjà connus, et donc échouerait à mettre au jour les nouvelles méthodes de fraude, raterait clairement sa cible. Or, rien, dans ce que j'ai pu observer, ne permet aujourd'hui de garantir l'absence de tels biais. Il est donc urgent d'établir la transparence sur les technologies utilisées par le bureau du data mining devant une commission indépendante associant organisations syndicales, CNIL et élus. La DGFiP devra démontrer périodiquement que les outils utilisés ne comportent pas de biais.
La montée en puissance de la programmation issue du data mining a totalement bouleversé l'organisation interne de la DGFiP. Les agents de terrain subissent cette évolution sans être associés aux décisions et avec un accompagnement défaillant. Ces fonctionnaires, attachés à leur métier et au service public, décrivent une perte de sens et une réduction des initiatives locales, pourtant extrêmement rentables d'après les données fournies par la DGFiP elle-même. Si nous voulons que les acteurs de terrain s'emparent des nouveaux outils mis à leur disposition, il est nécessaire de repenser l'accompagnement de cette révolution technologique. Je propose donc de mieux associer les agents de terrain au retour d'expérience sur l'usage du data mining, en impliquant les organisations syndicales dans l'évolution des algorithmes.
Après plus de dix ans de développement des nouvelles technologies dans le contrôle fiscal, il est étonnant que la DGFiP n'ait toujours pas cherché à faire évoluer les compétences en interne. Le recours à l'IA dans le contrôle fiscal nécessite des compétences rares et spécifiques. Un quart des effectifs du bureau est composé de data scientists, mais ceux-ci sont presque tous contractuels, faute de profils qualifiés au sein de la DGFiP. L'expérience accumulée par ces contractuels est hautement valorisable auprès d'entreprises privées, comme en témoigne l'importance du turn over. La souveraineté, la fiabilité et la sécurité du contrôle fiscal peuvent donc se retrouver menacées à terme. Compte tenu de la spécificité des profils de data scientists et de l'investissement que constitue leur recrutement pour les services concernés, je préconise la mise en place d'une filière interne de recrutement mutualisé entre les différents services de l'État qui ont recours à ces compétences.
L'usage des nouvelles technologies dans le contrôle fiscal peut être un outil pertinent pour améliorer l'efficacité financière de cette politique et progresser vers la justice fiscale. La mise en place du data mining a souvent entraîné une réduction des postes et une perte de sens du métier pour les agents de terrain. Cette situation est absurde, car le data mining n'a pas pour vocation de remplacer le contrôle de terrain. Il intervient uniquement dans la phase de programmation des contrôles, laissant ensuite aux vérificateurs le soin d'étudier les dossiers un par un. En continuant à supprimer des postes de vérificateurs, le gouvernement a mis en danger la cohérence globale du système de contrôle. Nous devons rétablir un maillage fin de brigades sur l'ensemble du territoire. Les 1 500 créations de postes annoncées au printemps dernier ne résoudront pas le problème, d'autant plus qu'il s'agit de redéploiements et non de véritables embauches. Ces 1 500 ETP ne compensent même pas la perte de près de 1 900 emplois sur les sept dernières années. La lutte contre l'évasion fiscale mérite une attention plus soutenue.
Chers collègues, bien que le sujet que j'aborde puisse sembler technique, il touche à la cohésion nationale et à la souveraineté de notre pays. Sans justice fiscale, il n'y a pas de contrat social, ni de politique publique d'envergure pour relever les défis sociaux, écologiques et géopolitiques auxquels nous faisons face. Depuis plus de deux ans, je propose des avancées dans ce domaine. J'ai publié deux rapports contenant cinquante-huit propositions. Avec les collègues de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES) de notre commission, j'ai présenté un plan de lutte contre les fraudes bien plus ambitieux que celui du gouvernement, qui ne propose que des mesures marginales. Lors des derniers PLF, j'ai défendu plusieurs dizaines d'amendements visant à doter les agents du contrôle fiscal des moyens nécessaires à leur mission, essentielle d'un point de vue budgétaire et de justice fiscale. Les solutions existent, il vous appartient de les adopter.