Au sein de notre alliance, le groupe Ahold Delhaize nous a rapidement signalé la bouffée d'inflation que connaissaient les États-Unis et la spéculation sur les marchés des matières premières. Le professeur Chalmin, que vous avez auditionné, a rappelé que la moitié des intervenants sur ces marchés sont des placiers, des spéculateurs au sens étymologique du terme, non des utilisateurs.
J'ai ensuite essayé d'alerter votre assemblée sur le fait que, par manque d'anticipation ou par volonté de répercuter immédiatement des perspectives de hausse, de nombreux industriels jouaient de cette inflation. Pendant six mois, j'ai été un peu le solitaire du marché, puis Thierry Cotillard d'Intermarché, Dominique Schelcher de Système U et même Alexandre Bompard m'ont emboîté le pas.
Nous vous avons alertés d'abord parce que nous ne voulions pas que les hausses de prix dans nos magasins nous soient imputées à tort. Les uns et les autres nous ont promis des commissions d'enquête, qui nous auraient bien aidés car certaines PME auraient pu négocier plus avant leurs approvisionnements – le prix des containers était alors passé de 1 700 à 17 000 euros. Puis, lorsqu'une partie de l'Assemblée nationale a été d'accord pour taxer les superprofits, il était trop tard : c'est au moment de la négociation qu'il fallait intervenir.
Je ne donne pas de leçons, j'explique simplement que nous étions bien seuls lorsque nous avons reçu du marché américain l'information selon laquelle l'inflation démarrait – elle avait débuté aux États-Unis six mois avant la France et, grâce à ce travail avec Ahold Delhaize, j'avais surpris certains de mes collègues. Il faut retenir cet épisode, car cela peut se reproduire. Et vous avez vu qu'en matière de prix de l'énergie, nous avons tous payé cher, mais les résultats des énergéticiens ne sont pas à la ramasse.
Quant à l'industrie agroalimentaire, je veux bien que l'on accorde des vertus particulières aux producteurs alimentaires mais il ne faut pas confondre le maraîcher de la plaine de Montesson ou de Nantes et des industriels du petfood (nourriture pour animaux de compagnie), dont les dividendes ont augmenté. Cela montre que le consommateur français et, peut-être, européen – je n'ai plaidé que pour le premier – a surpayé l'inflation.
Nous sommes maintenant entrés dans une période plus stable. Par le jeu de la concurrence et la répercussion des nouveaux tarifs aux consommateurs, on retrouvera dans les magasins une inflation plus normale, même si les 21 % d'inflation en deux ans ne seront pas effacés.
Je pense néanmoins qu'il coûtera plus cher de produire demain du fait des injonctions plus nombreuses faites aux producteurs : souveraineté ou relocalisation pour des raisons géopolitiques, décarbonation, production plus vertueuse sur le plan sanitaire… Tant que l'on n'aura pas trouvé d'énergies alternatives et de nouveaux modèles, tout cela renchérira la production.
Plus que jamais, il sera important que les distributeurs temporisent l'inflation et fassent tampon. Il y a donc beaucoup de travail en perspective. C'est pourquoi, au-delà du débat législatif, je souhaite que vous nous aidiez à trouver les voies d'un dialogue dans la filière, jusqu'au bout de la distribution. Si les coûts augmentent en amont, il faudra trouver un moyen pour que cette augmentation ne soit pas plus rapide que celle du pouvoir d'achat des Français. Puisque produire coûtera plus cher, nos systèmes de distribution devront être plus compétitifs. En tant que distributeurs, nous aurons un rôle éminent à jouer.