Je le dis de façon modérée, certaines polémiques ne me paraissent pas fondées. Depuis quarante-deux ans – j'en ai soixante-douze –, je viens sans arrêt à l'Assemblée nationale justifier les prix que je pratique. Ce ne sont pas les gens qui vendent cher qui viennent ici ; ce sont ceux qui essaient d'être un peu consuméristes.
J'incarne une enseigne qui essaie de vendre moins cher et c'est important pour moi. Dans ce combat, nous avons rencontré des obstacles. Mon père a été aidé par le général de Gaulle et par Antoine Pinay, qui a interdit le refus de vente à un moment où les industriels se liguaient pour empêcher qu'il soit livré et qu'il vende moins cher. Récemment, l'Autorité de la concurrence a sanctionné plusieurs industriels qui s'étaient entendus pour pratiquer des politiques tarifaires différenciées selon les pays de l'Union européenne. Les Français étaient tapés plus fort au portefeuille alors que les produits qui leur étaient vendus venaient des mêmes usines et des mêmes unités de production.
La Commission européenne vient de rendre un rapport où elle se dit favorable à ces regroupements. Dans cette salle, il y a le drapeau français et le drapeau européen et il me semble qu'ils sont compatibles. Il me paraît un peu incongru qu'un ministre fasse le procès à Leclerc d'être en Belgique alors que le Gouvernement demande aux municipalités d'ouvrir leurs appels d'offres aux entrepreneurs européens, qu'Air France s'appelle Air France-KLM et qu'Arte est le regroupement d'une entité allemande et d'une entité française. Je pourrais encore parler de Stellantis et de beaucoup d'autres entreprises, dans tous les secteurs. Cela ne choque personne qu'après avoir fait l'Europe, les entreprises françaises créent des Airbus de leur secteur : c'est notre ambition. Tout cela me laisse perplexe : cela montre que l'on sacrifie le débat intellectuel à la politicaillerie ou au lobbying, ce qui n'est pas très intéressant.
Lorsque mes parents ont créé les centres Leclerc, ils n'avaient pas de centrale d'achat. Ils achetaient très cher et c'est en prenant sur leurs marges qu'ils arrivaient à vendre moins cher que les Uniprix, Monoprix ou Prisunic – des enseignes qui ont presque toutes disparu. Les coopératives de consommateurs vendaient elles aussi plus cher que mes parents. Quand Jean-Pierre Le Roch a créé le premier Intermarché à Issy-les-Moulineaux, qui est désormais tenu par Thierry Cotillard, il n'avait pas de centrale d'achat. Quand Jean-Claude Jaunait a refondé le groupe Unico pour faire Système U, il n'avait pas de centrale d'achat.
Leclerc est moins cher parce que nous avons la volonté de vendre moins cher et parce que nous bâtissons un modèle économique qui nous permet d'être moins chers. Or ce qu'on remarque, c'est que les pouvoirs publics, les parlementaires, bref, tout notre environnement nous laisse vendre moins cher, mais sans toujours nous donner la capacité d'acheter au meilleur prix. Le passage par l'Europe a été pour nous une bouffée d'air. Quand on voit qu'il y a 20 % d'écart entre les prix dans un centre Leclerc de Strasbourg et un magasin Rewe ou Lidl situé de l'autre côté de la frontière, on se rend bien compte que les politiques tarifaires sont très différenciées, très segmentées, et qu'elles ne favorisent pas le consommateur français.