J'anime le comité stratégique des centres E. Leclerc, qui est avant tout une association de personnes physiques, que j'évoquerai sous le nom d'adhérents et adhérentes. Cette association a été créée par mes parents, Hélène – sans qui il n'y aurait pas eu de centres Leclerc – et Édouard Leclerc. Elle regroupe des chefs d'entreprise qui s'engagent par contrat à respecter plusieurs points, le premier étant de chercher à être le moins cher possible dans leur zone de chalandise et de faire en sorte que, au niveau national, l'enseigne respecte cet objectif consumériste. Mon père en a fait un objectif véritablement lié à son nom lorsqu'il a créé les centres Leclerc, dans une économie d'après-guerre où il y avait beaucoup de marges et d'intermédiaires et où les prix étaient très élevés.
Les hommes et les femmes qui exploitent ces entreprises doivent également s'engager à s'organiser en mode coopératif. Il s'agit d'une coopérative de moyens et non de consommation, comme le sont les Coop suisses, Conad ou Coop Italia. Souvent, ils viennent du salariat. À l'époque de mes parents, ils étaient boulangers, pâtissiers, anciens commerçants. Nous en sommes à la troisième génération. Le principe, c'est que, sans apport initial mais en passant par les différents stades de responsabilité en magasin, ils se font repérer, deviennent responsables et se font parrainer pour créer leur propre entreprise. Nous comptons aujourd'hui quelque 550 adhérents et adhérentes.
Ayant accédé à la propriété de leur entreprise et à la possibilité d'exploiter cette enseigne, ils doivent faire de même avec leurs salariés, parfois leurs enfants qui reprendront leur entreprise. Ils suivent le même cursus et le même modèle. À ce titre, les centres Leclerc sont une école de chefs d'entreprise, une école de terrain, qui désormais se nourrit de la connaissance d'une nouvelle génération d'adhérents passés par les écoles de commerce. Je suis moi-même président de l'école Neoma, dont le programme Ecal a fourni beaucoup de cadres à Système U, Carrefour et Intermarché.
Les adhérents s'engagent à participer activement à la coopérative, qui n'est pas simplement à leur service : ils sont la coopérative. Dans le cadre de missions qui durent en général quatre ans, ils s'occupent d'un groupe de travail « produits », d'un service logistique ou informatique, ce qui est une manière pour eux de grandir dans la connaissance des différents métiers.
La structure prend la forme d'un groupement coopératif, le Groupement d'achats Leclerc (GALEC) – dénomination impropre puisque les opérateurs sont les magasins, mais nous avons conservé la terminologie historique. Plusieurs outils ont été créés, dont tous n'ont pas le statut coopératif mais qui sont dirigés selon ce mode, comme l'abattoir de Kermené. Il s'agit de sociétés anonymes que nous avons rachetées et dont nous avons gardé le statut juridique, mais ce sont bien des propriétaires de magasins qui s'occupent de ces outils.
Les adhérents exploitent aujourd'hui 754 magasins, principalement des petits hypermarchés et des hypers à taille humaine, 758 drives – importés en France par une filiale d'Auchan et développés par les centres Leclerc –, des points relais dans des quartiers, ainsi que 2 540 magasins spécialisés. Nous avons ouvert le combat pour l'accessibilité par les prix et la défense du pouvoir d'achat dans le domaine de la parapharmacie, des espaces culturels, de la location de voitures. Nous sommes devenus le premier loueur de voitures en France, le troisième libraire, peut-être le premier voyagiste. Cette activité génère un chiffre d'affaires de 48,6 milliards d'euros TTC hors carburants. Nous sommes d'ailleurs le deuxième acheteur et distributeur de carburants en France, une activité qu'il faudra décarboner demain.
Quelque 20 millions de foyers font leurs courses dans les centres Leclerc. Avec 15,7 millions de porteurs de carte et une application parmi les plus visitées, nous apportons la preuve que l'avenir n'appartient pas qu'à Amazon et que le commerce, notamment indépendant, français a une belle réactivité. On aurait pu croire que le commerce intégré relèverait ce défi le premier, mais Leclerc est à ce jour le deuxième ou le troisième site internet le plus visité en France.
Nous avons fait des choix et défendons des positionnements face au hard discount, qui nous a bien réveillés à une époque. Nous avons considérablement élargi les assortiments, en non-alimentaire comme en alimentaire : un assortiment moyen comporte 22 000 références chez Leclerc, contre 17 000 dans un hypermarché concurrent. Nous recherchons le choix et la diversité dans les différents positionnements marketing.
Aujourd'hui, 166 000 collaborateurs travaillent sous l'enseigne Leclerc, dans de multiples sociétés. Nous recrutons toujours près de 3 000 personnes par an depuis dix ans. Lors d'une récente rencontre, 53 000 candidats ont postulé en une journée ; beaucoup venant de la concurrence, cela nous donne à penser que, même avec des centres de décision sociaux très épars, l'image de l'entreprise n'est pas si mauvaise. Nous employons 2 800 bouchers, 2 200 boulangers, 1 700 pâtissiers, 1 600 poissonniers, 2 300 traiteurs, 535 libraires, avec des plans de formation, certains en alternance. Nous sommes une enseigne multicanal, ce qui, pour des indépendants, est intéressant. L'hypermarché reste le navire amiral mais il a à ses côtés des drives et du site internet.
Nous avons beaucoup regardé les auditions des autres distributeurs et des industriels par votre commission d'enquête. Je souhaite apporter quelques précisions, comme une sorte de credo.
Leclerc n'a jamais été contre Egalim ; nous avons polémiqué sur certains points de cette loi mais nous ne nous y sommes jamais opposés par principe. Évidemment, nous sommes pour que les agriculteurs vivent de leur métier le mieux possible. Simplement, nous avons dénoncé des incohérences ou des dispositions qui n'avaient rien à voir avec le revenu agricole ou l'avenir agricole.
Je ne crois pas au partage de la valeur : je ne sais pas ce que l'on entend par là. Si on vous demandait quelle valeur vous vous accordez et vous acceptez de partager, je pense que cela vous poserait un problème. C'est une sémantique qui ne parle pas aux adhérents.
De même qu'il existe plusieurs types de commerce – de centre-ville, périphérique, plateformes commerciales –, il y a plusieurs types d'agriculture. Nous doutons que l'on puisse résoudre les problèmes de l'agriculture en fourguant tout dans une loi. Je ne suis pas un ultralibéral, je pense que la loi doit définir un cadre, mais elle ne fixera jamais un prix, ou du moins jamais très loin du prix du marché – elle serait, sinon, rapidement obsolète.
Le droit de la concurrence en France autorise déjà des prix plancher, des prix de crise, des prix minimaux. La gestion de crise peut nécessiter une intervention publique, voire des prix plancher – à condition de les argumenter –, mais l'idée de fixer des prix minimaux dans des marchés ouverts au moins au niveau européen a quelque chose d'incongru.
Il faut rappeler une évidence : un prix ne fait pas une rémunération s'il n'y a pas de vente. Sans acte commercial, sans consommateur, le prix, c'est du vent. Il est donc très important d'envisager la fonction commerciale comme une partenaire de la filière, créatrice de sa propre valeur, parce que sans le débouché, le prix ne ramène pas une rémunération.
Nous sommes à peu près d'accord avec ce qu'ont dit Thierry Cotillard, Michel Biero et d'autres sur l'idée qu'un agriculteur ou un producteur doit pouvoir connaître son prix et disposer d'un premier contrat servant de base à la chaîne de décision. Nous y sommes favorables, même si l'on peut toujours discuter des détails juridiques. S'agissant de la transparence, celui qui achète ou rachète dans le cadre d'un marché de vente après transformation ou d'un marché de la revente doit pouvoir connaître la part de matière agricole et la part sur laquelle seront imposés certains mécanismes, comme les indicateurs de révision de prix. Il faut bien définir de quoi l'on parle. Nous sommes favorables à des clauses de révision automatique de prix dès lors que l'on sait à quoi elles s'appliquent.
Concernant Egalim, nous trouvons assez dingue d'aller chercher les cas marginaux auxquels éventuellement cette loi ne s'appliquerait pas, alors qu'une grande partie des filières en ont été ou s'en sont exonérées et que les grossistes ne l'appliquent pas, tout comme des pans entiers de l'économie comme la restauration, voire l'exportation. Dans le cadre actuel, que nous ne contestons pas, nous achetons à Herta le porc espagnol au prix du porc breton – un comble pour un Breton ! Nous ne sommes donc pas opposés à ce type de dispositif, qui reste à affiner ; mais avant de venir chercher les distributeurs dans leur expression européenne et internationale, je rappelle que les producteurs de légumes, les viticulteurs, les éleveurs bovins et les céréaliers n'appliquent pas cette loi. Nous sommes tous frères, mais c'est encore mieux quand on le démontre.
Nous sommes bien intentionnés et volontaristes. Je me sens Breton et Français. Fi des procès en antipatriotisme ! Les centres Leclerc sont les ambassadeurs de nos terroirs et, étant donné leur place sur le marché, le premier débouché des produits français. Nous avons largement démontré notre agilité et notre activisme pendant la crise du covid, et nous sommes prêts à nous améliorer, mais nous souhaitons être associés à l'élaboration du droit. Je rappelle en effet que nous avions été écartés – Leclerc particulièrement – de certains dispositifs d'Egalim.