Les Polynésiens entretiennent une relation complexe avec l'océan. En tant qu'anthropologue, je souligne qu'ils sont à l'origine des migrants, qui se sont installés dans ces îles plusieurs millénaires en arrière. Les Polynésiens entretiennent donc une culture de la migration opposée à celle de l'enracinement. Cette culture se divise en deux références principales : l'océan d'une part, qui symbolise les déplacements, les ancêtres et le voyage – on est autochtone de l'océan –, et la terre d'autre part, le jour où l'on s'arrête, où l'on devient autochtone, où l'on s'approprie une île, où l'on devient un enfant de cette île, développant des liens profonds avec la terre mère, lui donnant des noms, y enterrant le placenta de ses enfants. Par exemple, les Maoris de Nouvelle-Zélande n'apprécient pas qu'on leur rappelle leur passé de migrateurs, car ils se sont profondément enracinés dans leur terre. Ils considèrent que les discours sur la migration peuvent fragiliser leur autochtonie, bien que celle-ci n'ait pas lieu d'être remise en cause. Si la question de l'océan est idéologique, les Polynésiens préfèrent célébrer leur lien avec la terre, malgré les bouleversements et la contamination qu'elle subit. L'océan représente aussi la source de nourriture, notamment le poisson, élément central de l'alimentation polynésienne. La contamination de la terre et de l'océan pose ainsi un problème de santé publique, la consommation des produits de l'océan pouvant entraîner une recontamination continue. En conclusion, la contamination de la terre tahitienne, réelle autant que symbolique, est extrêmement violente. Ce sujet est très sombre, et peut s'avérer très douloureux pour les Polynésiens, qui préfèrent parfois l'occulter totalement pour se concentrer davantage sur des sujets positifs du quotidien tels que l'éducation de leurs enfants, la recherche d'un emploi ou encore la pratique d'activités sportives.