Je pense que chacun ressent à la fois un sentiment de tromperie et d'utilité. Cette situation est d'autant plus perverse que les Polynésiens ont le sentiment d'avoir offert leurs îles à la France pour des essais nucléaires présentés comme inoffensifs. Ils sont convaincus que leur utilité implique une grande redevabilité de la part de la France. La dette est liée à un processus auquel ils ont participé, mais qu'ils n'ont pas choisi.
Concernant la notion de solidarité familiale, il faut reconnaître l'existence d'un processus de modernisation dans toutes les sociétés. Par conséquent, même sans le CEP, la Polynésie française aurait été concernée par les phénomènes contemporains tels que l'urbanisation et l'émergence du salariat. Cependant, les essais nucléaires ont accéléré ces processus en raison des injections massives d'argent public. Ainsi, la commune de Faaa, qui comptait 2 000 habitants en 1962, en recensait entre 15 000 et 20 000 quinze ans plus tard, révélant un essor démographique considérable à Tahiti lié aux opportunités économiques. Ce phénomène a entraîné une urbanisation extrêmement rapide. Jusque dans les années 1960, la majorité de la population de Polynésie vivait en dehors de Tahiti. Ce vaste mouvement démographique vers Tahiti a donc conduit certains à se séparer de leurs familles, restées dans les îles. En milieu urbain, les familles se sont recomposées différemment. Par ailleurs, le salariat a introduit des rapports plus individualistes, d'autant que seuls ceux qui percevaient un salaire étaient valorisés. Auparavant, l'argent était rare et les gens partageaient le peu qu'ils possédaient.