Je ne pense pas que la jeunesse polynésienne soit influencée, manipulée ou orientée. Elle est surtout façonnée par l'éducation française et les médias. On évoque parfois l'américanisation de la Polynésie française, mais lorsque je marche dans la rue, je n'entends jamais deux Tahitiens se parler en anglais. L'influence des États-Unis relève du fantasme. Il est logique que certains des biens de consommation disponibles sur le marché polynésien soient d'origine américaine, en raison d'une certaine proximité géographique. Cependant, les importations en provenance de France métropolitaine sont souvent moins taxées que les articles expédiés depuis les États-Unis, donc les produits américains ne sont pas moins onéreux que les produits français. En réalité, la jeunesse est surtout façonnée par sa culture française et par le poids d'un système scolaire éducatif dans lequel elle entre dès l'âge de deux ou trois ans. D'ailleurs, la jeunesse communique de plus en plus en français et de moins en moins à travers les langues polynésiennes. Sa relation avec la France n'en demeure pas moins ambivalente. Elle est, d'une certaine manière, assez française de culture. Si la mondialisation a entraîné le développement des réseaux sociaux, les Polynésiens utilisent un mélange de français et de tahitien pour échanger sur Facebook ou TikTok. La jeunesse tahitienne ou marquisienne oscille entre la culture française, qui ne fascine pas, qui représente la culture imposée par le colonisateur, mais qui est importante pour l'emploi, la formation et l'éducation, et la culture locale.
Par ailleurs, les jeunes générations ne sont pas très informées sur la question des essais nucléaires, en partie à cause du système éducatif, qui a tendance à éluder le sujet, de l'école élémentaire jusqu'à l'université. Au lycée, on évoque un peu cette question dans le cadre des enseignements sur l'histoire et la mémoire, en vue de la préparation du baccalauréat. A l'université, la filière qui devrait s'y intéresser le plus est la licence d'histoire. Cependant, ce cursus étant orienté vers l'obtention du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (CAPES), toute heure destinée à l'enseignement de l'histoire polynésienne entraîne un retard sur le reste du programme consacré à la Grèce antique, au Moyen Âge ou à l'histoire moderne et contemporaine. Il en va de même avec la géographie, ainsi que dans toutes les classes préparant à un examen et répondant donc à un programme précis (troisième, première et terminale). Il convient en outre de reconnaître que les Polynésiens ne sont pas particulièrement passionnés par l'histoire, à la différence des Kanaks de Nouvelle-Calédonie. Ils expriment leur identité et leur appartenance à leur pays davantage par des pratiques culturelles (la danse, le chant, la pirogue, etc.) plutôt que par un intérêt marqué pour l'histoire. Les historiens polynésiens sont d'ailleurs assez rares.