J'insiste sur le fait que l'étude que nous avons conduite est préliminaire. Nous savons déjà quelles sont les pistes à suivre pour l'approfondir le cas échéant, mais je ne pense pas que les ordres de grandeur des résultats changeraient.
Les doses que nous avons mentionnées n'ont pas été reçues en une seule fois, mais bien en une année. Lors des retombées de Centaure, les gens ont inhalé les radionucléides présents dans l'air. Ils ont été exposés au dépôt radioactif. Ce dépôt est resté, tout en diminuant par décroissance radioactive. Les gens ont consommé pendant des semaines, voire des mois, des denrées contaminées par les retombées. Quand on prend en compte l'ensemble de ces voies d'exposition et des niveaux de contamination, on arrive à cette dose de l'ordre du millisievert, qui ne résulte donc pas d'une exposition instantanée, mais d'une accumulation d'expositions.
Exposer en détail la méthodologie risque d'être très technique. Disons pour simplifier que, lors d'une explosion nucléaire, un certain nombre de produits de fission et d'activation sont générés. On connaît leurs proportions – c'est ce que l'on appelle le spectre. Le CEA est parti de ces données, complétées par les résultats de mesures de dépôts sur l'île de Tahiti. À partir de cet ensemble, il en a déduit les concentrations dans l'air, dans les sols et dans les denrées alimentaires.
Si l'IRSN avait utilisé la même méthodologie, cela n'aurait servi à rien car nous serions probablement arrivés d'office à un résultat très proche. Nous avons donc choisi de partir des niveaux mesurés dans l'air par des filtres pour différents radionucléides qui sont parmi les principaux contributeurs à l'exposition de la population. Nous avons reconstitué les dépôts à partir de ces données et fait tourner un modèle de transferts dans l'environnement, notamment sur la chaîne alimentaire. Cela nous a permis de reconstituer l'évolution de la contamination résultant des principaux radionucléides dans les denrées locales. Nous avons calé ce modèle sur les trop rares résultats de mesures disponibles. Il se trouve qu'avec ces deux méthodes tout à fait différentes nous avons trouvé un résultat similaire.
Cette méthodologie de l'IRSN avait déjà été utilisée pour évaluer les conséquences en métropole des essais nucléaires, mais nous avions alors eu accès à des dizaines de milliers de résultats de mesures pertinentes, ce qui nous avait permis d'appliquer cette méthodologie avec succès. Lorsqu'il s'agit d'estimer les conséquences des retombées radioactives sur Tahiti à la suite de l'essai Centaure, le problème est que l'on dispose de beaucoup moins de résultats de mesures. C'est ce qui explique les incertitudes dont j'ai parlé, aussi bien avec la méthodologie du CEA qu'avec celle que nous avons développée.